Steven Soderbergh a proposé avec son apps interactive une nouvelle expérience de fiction en jouant sur les points de vue. Mais la plupart des spectateur n'auront droit qu'à un remontage sous forme d'une série qui cache son héritage interactif et trahit son ambition initiale. A consommer de préférence en connaissant l'origine du projet et en s'accrochant un peu au début. Steven Soderbergh est revenu au cinéma après quatre ans d'absence sur le grand écran. Une absence qui n'a rien à voir avec un congé sabbatique. Le plus jeune réalisateur palmé à Cannes est au contraire connu pour sa suractivité : pendant cette période, il a tourné entre autre un téléfilm (Ma vie avec Liberace), réalisé deux saisons complètes du superbe The Knick et préparé un ovni audio-visuel : Mosaïc [1]. Même si le budget de 20 M$ de cet ovni relève de la grosse production télévisée, on est formellement plus proche de l'esprit frondeur et expérimental de Schizopolis, Bubble et Girlfriend experience. Mosaïc n'est pas un film, ni une série, mais une offre expérientielle fondée sur l'interaction avec le spectateur pour choisir son angle narratif. Ce n'est pas non plus le spectateur qui choisit l'histoire : elle reste toujours la même, mais il peut choisir le personnage qu'il souhaite suivre. Dans cette enquête policière, tout est fait pour créer de fausses pistes à la façon d'un bon thriller. Steven Soderbergh reste un conteur et ne délègue à son spectateur qu'une fonction de son rôle de réalisateur : le choix de l'axe narratif.
![]() Blade runner est aujourd'hui un film qui bénéficie d'une aura quasi-unique dans le cinéma hollywoodien. Sans avoir été un vrai succès, il a conquis le public cinéphile à travers le temps, mais il peine encore à trouver grâce aux yeux du grand public malgré une influence indéniable dans le cinéma de ces 30 dernières années. Lorsque Blade Runner sort en 1982, il est promis à un bel avenir. C'est censé être l'un des blockbusters de 1982. Son budget est en conséquence avec 28 M$, soit l'équivalent de 85 M$ d'aujourd'hui. Derrière la caméra, on trouve Ridley Scott qui a su transformer Alien, un thriller de l'espace, en cinquième plus gros succès de l'année 1979. Devant, Harrison Ford [1], la nouvelle star du cinéma d'action qui vient d'inaugurer le personnage d'Indiana Jones juste un an plus tôt. La date de sortie - 25 juin- ne trompe pas sur les ambitions importantes du studio à positionner le film dans la course au succès d'été. Une adaptation en bande dessinée a même été commandée pour accompagner le merchandising du film et combler les fans. On le sait, la réalité sera bien différente de ce qui sera anticipé. Sorti deux semaines après E.T. l'extraterrestre de Steven Spielberg, le film de Ridley Scott n'est pas un triomphe. Loin de là. Avec 27 M$ (27ème score au box-office annuel), il affiche des recettes aux Etats-Unis égales à son budget : c'est insuffisant à une époque où le marché américain représente plus de 60% du box-office des films américains et qu'il faut couvrir en outre les frais de distribution et d'exploitation. Le succès sera proportionnellement un peu meilleur dans le reste du monde, notamment en France avec 2 millions de spectateurs (8ème succès d'un film étranger de l'année et 18ème en tout). Le public n'a donc pas été totalement au rendez-vous. On ne peut pas dire que les critiques de l'époque aient beaucoup mieux soutenu le film.
Il y a eu une confusion entre son positionnement de film à grand spectacle destiné au grand public et ce qu'il est : un objet esthétique qui combine action et moment contemplatif, avec une réflexion sur ce qui fait notre humanité. Un malentendu analogue se manifestera à nouveau au moment de la sortie de Solaris de Soderbergh vendu comme une production de James Cameron dans l'espace pour vendre un drame métaphysique dans l'espace. Pour Blade runner, cette divergence est la traduction de projets différents entre la production qui attendait un film d'action et le réalisateur qui veut tourner un film noir de science-fiction. Paradoxalement, lorsque les séances-tests d'avant sortie démontrèrent la difficulté du public à suivre le film, producteurs et réalisateur se mettent d'accord pour rajouter une voix-off qui tire le film vers les films noirs à la Philip Marlowe. ![]() Mother !, le dernier film du réalisateur de Black Swan, Darren Aronofsky, n'a pas plu. C'est un euphémisme lorsqu'on regarde les avis des spectateurs à la sortie de la salle. C'est une contre-vérité quand on observe les notes données par les cinéphiles. Rarement film aura créé un tel écart de perception. Mother ! est entré dans l'histoire du cinéma moderne en devenant le 19ème film à recevoir la note F au rating de CinémaScore. Pas vraiment une situation enviable ! Cinemascore est un institut d'étude sur le cinéma qui interroge depuis 1978 environ les spectateurs américains à la sortie des salles (dans 5 des 25 plus grosses villes américaines). C'est donc l'avis du spectateur moyen qui s'est déplacé en salles et il y a donc moins d'un film par an qui a réussi à décrocher cette note infamante. Parmi les prédécesseurs, on trouve Disaster Movie (1,9 sur IMDb), Terreur.point.com (3,3), The wicker man (3,7), The devil inside (4,2), Docteur T. et les femmes (4,6), Les âmes perdues (4,8), Voyeur (4,9) ou encore Darkness (5,4). Le cas de Mother ! est différent. Sa note IMDb est bien supérieure puisqu'elle est à 6,8 une semaine après sa sortie (14.000 votants). Ce n'est finalement pas si loin de la note moyenne attribuée par les internautes cinéphiles à l'ensemble ds films notés sur IMDb, qui ressort à 6,9. Concernant Mother !, l'écart entre le rating Cinemascore (F, "l'un des pires films que j'ai vu") et celui d'IMDb (6,8, "un film moyen") est donc énorme. Dans un cas, c'est un spectateur lambda qui a vu le film à sa sortie, dans l'autre un spectateur engagé qui prend la peine de partager son avis sur internet. Pour analyser plus en détail, le cas spécifiques de Mother !, il est intéressant d'examiner la structure des notes qui constitue le rating (une moyenne pondérée) en le comparant à un autre film plus classique avec le même rating (6,8) et la même note médiane. Nous avons retenu Pirates des Caraïbes : la vengance de Salazar qui se différencie par son positionnement de blockbuster mais s'en rapproche par la proximité de la date de sortie à l'été 2017.
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Il n'y a pas qu'un film. Chaque spectateur emmène avec lui sa propre version en sortant de la salle. On peut même dire que le public confronte sa version à celle de l'auteur pour juger d'un film. Parfois, certains d'entre eux vont beaucoup plus loin et cherchent à rapprocher ces deux visions dans un montage revu pour obtenir un film plus "pur". Deux subjectivités qui s'affrontent pour le plus grand plaisir des spectateurs curieux du net.
Un film cesse d'être celui de son auteur pour devenir celui du public lorsqu'il est diffusé. Les spectateurs s'en emparent pour apporter leur interprétation indépendamment du message que voulait éventuellement porté le réalisateur ou le scénariste. Cette réalité a même été tranchée juridiquement par jugement de la Cour d'appel de Paris en mars 2009 lorsque Alain Cavalier avait tenté de s'opposer à une diffusion à la télévision de son film Thérèse dans le cadre d'une émission-débat sur la foi considérant qu'il avait fait un film sur une jeune fille prise d'une passion non religieuse pour un homme mort 2000 ans plus tôt.
Pourtant certains auteurs ne peuvent abandonner leur film et reviennent parfois régulièrement le modifier. George Lucas l'a fait plusieurs fois pour "améliorer" son montage de Star wars, puis pour y rajouter la 3D et des effets spéciaux modernisés. Concernant Blade runner, Ridley Scott, insatisfait de son premier montage, a revu son film par deux fois pour proposer un director's cut (1992), puis un montage définitif (2007).
Il était donc logique, à l'heure du numérique que certains spectateurs révisent à leur tour des classiques pour proposer sur le web leur version modifiée.
![]() Les professionnels admettent qu'il y a trop de films produits pour assurer une distribution correcte de chacun. Qu'il est bien difficile de savoir ceux qui méritent d'être produits entre ceux qui vont plaire et ceux qui attirent le spectateur. Le panorama des goûts du public sur les cinq premiers mois de 2017 donne un bon panorama de cette diversité. Tous les films ne sont pas faits pour tous les spectateurs, mais tous les spectateurs peuvent trouver au cinéma chaussure à leur pied. Tel est le constat au regard des films qui plaisent au public. Quand on examine les 10 films ayant eu la plus grande côte d'amour des cinq premiers mois de l'année, on ne peut que constater l'hétérogénéité des œuvres ainsi consacrées. Cela va de l'adaptation d'un roman connu français au drame belge sur une communauté pakistanaise, en passant par l'adaptation live d'une film Disney. Les genres les plus différents sont représentés : la comédie musicale (La la land), le documentaire (Lumière !), le dessin animé (Tous en scène) et le blockbuster de super-héros (Les gardiens de la galaxie vol. 2). Pour Lion, "le nouveau slumdog millionaire", c'est presque un sans faute tant une note de 9,4 est rare. L'an dernier, seulement cinq films avaient fait mieux : Merci Patron (9,6), Dalton Trumbo (9,6), Moi Daniel Black (9,6), Relève (9,5) et Ballerina (9,5). On peut se réjouir d'en trouver certains aux premières places du box-office France car cela revient à constater que les spectateurs ont été heureux de leur visite en salle : Fast & Furious 8 (2ème), Tous en scène (5ème), la Belle et la Bête (6ème), Les gardiens de la galaxie vol. 2 (7ème) et La la Land (10ème). Ce n'est pas si courant.
On pourra relever quand même que le champion 2017 reste Raid dingue de Dany Boon et ses 4,8 millions de spectateur alors que Le chanteur de Gaza (note de 9 du public) n'aura été vu que par 50.000 spectateurs. Sans aucun doute, tous les deux méritaient donc d'être produits. ![]() Showgirls ressort sur les écrans et bénéficie d'une sortie blu-ray en édition limitée. Inimaginable il y a 20 ans quand le film a été distribué pour la première fois et s'était fait étriller par la critique et le public. Une étrange évolution de la perception d'un film pas comme les autres. Il reste des adeptes du gout absolu qui permettrait de distinguer le beau du laid. En fait, il y a des normes qui permettent de juger des schémas. Or l'appréhension de ces schémas varie selon le contexte, les normes sociales et les références du spectateur. Showgirls de Paul Verhoeven illustre parfaitement cette réalité. Sortant de trois succès à Hollywood successif, le réalisateur hollandais était l'un des réalisateurs les plus populaires au début des années 90. Il décide de se lancer dans une épopée sur les croisades avec Arnold Schwarzenegger en vedette. Un budget pharaonique face aux difficultés financières de son producteur (Carolco) mettra fin à ce projet particulièrement attendu. Paul Verhoeven décide alors de rebondir en repartant d'un scénario qu'avait écrit pour lui Joe Eszterhas, son scénariste de Basic instinct. Insatisfait du premier résultat, il relance un round d'écriture juste avant la date de tournage. Le script raconte l'histoire d'une jolie jeune femme ambitieuse, mais sans le sou qui va tenter de réaliser de devenir une strip-teaseuse de luxe à Las Vegas. Une histoire qui rappelle Spetters du même réalisateur, tourné quinze plus tôt. Paul Verhoeven, qui n'a jamais été un réalisateur minimaliste, adopte le parti-pris d'amplifier tous les éléments de son film pour insister sur la satire : musique, couleurs, jeu des acteurs. S'écartant des conventions, le film n'est pas avare non plus de scènes sexy et violentes (un viol). Un montage édulcoré permit d'éviter un classement Rated aux Etats-Unis, au profit d'une simpleinterdiction aux moins de 17 ans (comparaison des versions). En France, la version intégrale fut interdite au moins de 12 ans.
![]() L'époque où la cinémathèque ne diffusait que quelques obscurs chefs d'œuvre bulgares en complément d'une programmation dévolue à Yasujiro Ozu et Dziga Vertov est révolue. L'institution s'est ouverte à d'autres moyens de mise en valeur du patrimoine cinématographique depuis son rapprochement avec la BIFI (Bibliothèque du Film). Le 10 avril, sera projeté Le jouet de Francis Veber, une plaisante comédie qui fait aimer le cinéma justement. Le Jouet est un film de son époque. Il traduit bien une société "giscardienne" avec ses grands patrons confortées par la politique de Pompidou, les débuts de la crise économique et la guerre des classes exacerbée par les manifestations de la fin des années 60. C'est aussi les débuts d'un nouveau genre comique auquel le Francis Veber scénariste a participé avec son interprète Pierre Richard et sa candeur presque poétique.
Le film n'est pas manichéen approchant la question déjà débattue dans des contextes différents de savoir qui est le monstre entre celui qui donne les ordres et celui qui les accepte. Le débat dépasse l'opposition entre le patron et l'ouvrier pour glisser aux relations entre le chef et le sous-chef aux ordres (via le personnage du rédacteur en chef), le chef de famille et son épouse docile ou encore le père et le fils. Chacun accepte un rôle et s'en accommode plus ou moins. C'est aussi un film sur l'humiliation. Ce scénario malin vaudra à Francis Veber une nomination aux César 1977 et le droit à un remake américain six ans plus tard, The toy, avec Richard Pryor dans le rôle de Pignon [1]. ![]() Coup de gueule contre la décision des pouvoirs publics polonais qui ont mis en garde contre la vision pro-juive du film qui lui aurait notamment permis de se voir récompensé d'un Oscar du meilleur film étranger. Coup de projecteur sur un film qui pourrait faire bouger les mentalités en Pologne. A la cérémonie des Oscars de février 2015, c'est le film Ida de Pawel Pawlitowski qui a gagné l'Oscar du meilleur film étranger devant le cynique et drôle Les nouveaux sauvages (Argentine) et le Césarisé Timbuktu (France-Mauritanie). Une occasion rare de célébration du cinéma polonais puisque c'est le premier Oscar pour un film polonais après neuf nominations infructueuses. Mais depuis le pouvoir politique a changé et les conservateurs ultra-nationalistes ont pris le pouvoir en août dernier. Si le film avait fait débat à sa sortie entre une gauche contestant la vision donnée de l'attitude du parti communiste pendant la shoah et les nationalistes regrettant l'image peu flatteuse donnée du peuple polonais où il y a eu des Justes, la polémique en restait au débat d'idée. Lors de la diffusion à la télévision (sur TVP2) fin février, le film a été précédé d'une séquence de 12 minutes cherchant le mettre en perspective avec l'histoire de la Pologne. Si cette démarche peut-être louable, sa traduction s'avère plus surprenante et même révoltante. Coup de gueule donc.![]() Ça y est nous sommes dans le présent, celui de la première partie de Retour vers le futur 2, selon ce qu'en disent les fans des aventures de Marty et Doc. Il est difficile d'échapper à ce constat depuis le 21 octobre dernier. Mais il est bien plus intéressant d'y identifier avec le recul les préoccupations de la fin des années 80. Ce phénomène avait été mis en évidence par Siegfried Kracauer en 1947 avec sa publication de De Caligari à Hitler, une histoire psychologique du film allemand (édité en Allemagne en 1958 et traduit en France en 1973 seulement). Inspirés d'une demande en 1937 du Musée d'Art Moderne de Ne-York [1], les travaux de Kracauer montrent le lien entre l'esthétique d'un film et l'esprit d'une époque. Il y montre par une analyse poussée la psychologie des allemands dans les années 20. Dans les films allemands de cette période, comme Le cabinet du docteur Caligari (1920) de Robert Wiene ou Metropolis (1926) de Fritz Lang, on peut lire les traces laissées par la première guerre mondiale, un pays en crise et une propagande vers le renouveau de l'âme germanique menant à l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler en 1933. Il n'hésite pas à écrire que les films sont "des symptômes de certains états de conscience souterrains prévalant en Allemagne à cette époque " (page 15).
L'avantage de la science-fiction, c'est que les auteurs essaient de dessiner le monde de demain en poussant certaines logiques contemporaines. Les préoccupations du moment sont exacerbées : au début des années 70, on est dans l’avènement d'une société de consommation dont les fondements ont progressivement annihilé le "monde naturel" : il en ressort une prise de conscience écologique dans Silent Running en 1972 ou un traitement extrême de la crainte de la surpopulation dans Soleil vert en 1973 (comment la nourrir ?) et L'âge de Cristal en 1976 (comment la limiter ?). Blade runner présentait également une société impersonnelle au début des années 80 : la ville démesurée semblait engloutir l'individu et l'humain se confondait avec l'humanoïde. Même si notre cité n'est pas exempt de problèmes sociétaux, on en est bien loin plusieurs décennies plus tard. Plus léger évidemment, le film Retour vers le futur 2 est pourtant un bel outil d'analyse de l'Amérique de la fin des années 80. Il y aurait matière à comprendre les désirs et les peurs des américains de l'ère post-Reagan. Au moment d'écrire la suite de Retour vers le futur, Robert Zemeckis et Bob Gale vivent dans un monde où la crise économique s'est installée de façon structurelle : le déclin social est devenu une vraie peur des classes moyennes à cause du chômage et la toute puissance de l'Amérique est ébranlée dans la mondialisation qui remet en cause les positions établies. Retour vers le futur 2 parle donc logiquement de ces phénomènes en 1989, même dans les séquences se déroulant en 2015. ![]()
Le mensuel Première a la bonne idée cette année de sortir pour l'été un numéro hors série consacré aux films moins connus qui méritent d'être vus. Le dossier se concentre sur les 50 dernières années, ce qui offre un grand choix. Il y en a bien pour tous les goûts. Dont Sorcerer, sorti le 15 juillet.
L'intérêt de cette sélection est de pointer sur des films méconnus, passés à côté de leur public mais qui pourtant sont parvenus pour certains à se faire une place dans le cœur de quelques spectateurs. Le journal a la bonne idée d'interroger quelques personnalités du cinéma qui livrent leur chef d’œuvre mal aimé. Ainsi Ryan Gosling, Garpar Noé ou encore Benicio Del Toro livrent leur secret cinéphilique. ![]()
Il y a bien sûr dans cette liste des films qui n'avaient pu défendre leur chance, avec une exploitation restreinte ou un budget marketing réduit, voir pas du tout présentés au public. On y trouve des premiers films de réalisateurs de premier plan avant qu'ils ne soient reconnus (Gallipoli de Peter Weir ou I wanna hold your hand de Robert Zemeckis) ou au contraire des films qui ont coulé leur auteur avec eux (Leolon de Jean-Claude Lauzon).
Mais ce qu'on retiendra surtout, ce sont ces films qui avaient justement bénéficié d'une large distribution, mais qui n'avaient retenu l'attention de presque personne. Une façon de les sortir du purgatoire. Le journal fait d'ailleurs en introduction son mea culpa à propos du Convoi de la peur de William Friedkin, deuxième adaptation datant de 1977 d'un roman français après le salaire de la peur. Première avait écrit dans son numéro de novembre 1978 à propos du nouveau film du réalisateur de French connexion et L'Exorciste : "voila un film qui ne laissera pas un grand souvenir". Et pourtant, même s'il est vrai que Sorcerer - son titre original - a été mal accueilli par les spectateurs de l'époque (6 M$ de recettes aux États-Unis et 382.000 spectateurs en France), il a fait son chemin. Sa note sur IMDb est désormais de 7,7, bien supérieure à la moyenne de 7, même s'il demeure en retrait du premier film d'Henri-Georges Clouzot (8,2). Le film a tellement été réévalué qu'il bénéficie d'une restauration et d'une reprise en salles cette été, événement devenu rare pour un film qui n'est pas un classique. Et cela après un passage par la Cinémathèque en 2013. Le réalisateur était alors venu lui-même présenter son film dans un cycle intitulé "toute la mémoire du monde". ![]() Jurassic World est un énorme succès ; c’est entendu ! Il remet au gout du jour le bestiaire préhistorique du film original de Steven Spielberg, au sens propre comme au sens figuré. Nous revenons ici sur le regain d’appréciation observé par le film original depuis plusieurs mois. ![]() Quelques semaines après le revival Mad Max, c’est au tour des dinosaures créés par Michael Crichton de revenir en force. Jurassic World est globalement bien accueilli avec une note IMDB assez haute de 7,6 sur 10 et une moyenne de 3,9 sur 5 chez les internautes d’Allociné. L’observatoire de la satisfaction, qui mesure l’audience du mercredi de la sortie en France, dépasse le recensement des seuls internautes et donne un taux de satisfaction de 93% (45% pour la haute satisfaction), ce qui est élevé surtout pour un blockbuster. Le même organisme constate dans les avis positifs que cette suite « offre son lot de créatures effrayantes, de scènes d’action musclées, d’effets spéciaux réussis, et donc d’émotion forte. C’est très impressionnant, on y trouve aussi une bonne dose d’humour et pas mal de clins d’œil au premier opus ». Les points négatifs portent sur « le scénario assez mince, pas toujours crédible » et le fait que « ce n’est pas assez ébouriffant, et ce n’est pas très novateur ». Avec 208 M$ en trois jours aux États-Unis et près d'un milliard de dollars en dix jours dans le monde entier, les records sont battus rapidement. De toutes les façons, ces chiffres ne veulent pas dire grand-chose, puisque le développement des marchés émergent (le marché chinois a dépassé le marché américain pour la première fois en février 2015) contribue à voir les records tomber alors que l’effet 3D et l’inflation dopent également le prix du billet, donc les recettes. La France résiste un peu, le score de la 1ère semaine étant inférieur à celui de Fast & furious 7. Mais on chipote : Jurassic world est un triomphe partout où il sort. Ce succès s’appuie sur la réputation de la première trilogie lancée par Steven Spielberg et dont la cote d'amour du premier épisode reste élevée :
![]() Chaque remise de prix conduit à choisir et à classer les films. Cette année, le festival de Cannes n'échappe pas à la règle et la victoire de Dheepan déçoit les amateurs de The Asssasin, Mia madre et Sicario. Il parait néanmoins difficile d'en vouloir à un jury composé de spectateurs pas tout à fait comme les autres, mais qui jugent les films selon des critères analogues dans un contexte spécifique.
![]() Le British Film institute (BFI) publie tous les 10 ans depuis 1952 la liste des meilleurs films d'après plusieurs centaines de leaders d'opinion du cinéma. C'est une référence pour mesurer l'évolution du "bon goût" reconnu à travers le temps. En 2012, le dernier classement de la BFI est paru. Il comprend 50 films et pour la première fois depuis 1962, il n'est plus dominé par Citizen Kane. C'est désormais Sueurs froides (Vertigo) d'Alfred Hitchcock qui a succédé au classique d'Orson Welles. Ce sont 846 critiques, distributeurs et autres responsables de festival qui ont voté. On n'y retrouve que des classiques de l'histoire du cinéma, avec des écarts importants avec les palmares du grand public. La comparaison des 50 meilleurs films du classement de 2012 avec ceux du Top250 des cinéphiles du site IMDb est éloquente, même si l’existence de points de rencontre est aussi intéressante : aucun film commun dans les dix premiers et seulement 8 films pour les cinquante premiers des deux listes Stanley Kubrick relevait qu’une lecture religieuse de 2001 : l’odyssée de l’espace (1968) était faite alors qu’il se considérait comme agnostique. Pour son film suivant, Orange mécanique (1971), le réalisateur anglais devait affronter la lecture fasciste qu’en faisaient certains. Avec Barry Lyndon (1975), il s’étonna qu’une vision nihiliste fût attribuée à la fin de son film. Les réalisateurs ont l’habitude de dire que le film cesse d’être le leur quand il devient celui du public. Ils n’en maîtrisent plus l’interprétation qui en sera faite par les spectateurs au risque d’un éventuel écart entre le propos de ses auteurs et l’interprétation qui sera faite par le public [1]. Le film, création d’une communauté productrice, devient dans l’espace public un objet symbolique insaisissable. Plusieurs interprétations et avis sur un film coexistent dans l’espace social. Aucun film ne fait l’unanimité quant à ses qualités comme aucune interprétation ne saurait s’imposer à tous.
En cela, le film correspond bien à une singularité. Un film a beau être disponible à tous, souvent vu par des millions d’individus, parfois en même temps, il reste un objet singulier car comme l’indique Lucien Karpik (2007), « chaque interprétation requalifie le produit ». Le caractère reproductif de son support, davantage encore aujourd’hui qu’hier avec l’essor du numérique, amplifie sa dimension collective, mais ne change rien à sa singularité. Au contraire, le film s’inscrit par sa large diffusion dans un paradoxe social : sa singularité se démontre par la multiplication des expériences qui en sont faites. C’est dans la multiplicité que la singularité du film s’affirme. Cette vie autonome du film n’est pas seulement une affaire de divergence de réception et d’interprétation entre des spectateurs différents. C’est également le résultat d’un parcours de la représentation de ce film chez un même individu. Il est fréquent qu’un film attendu génère de la déception à ses spectateurs. A sa sortie, de nombreux spectateurs qualifièrent 2001 : l’odyssée de l’espace d’ennuyeux et de prétentieux. Il est plus que probable que la grande majorité de ces spectateurs se sont initialement déplacés au cinéma avec une image positive de ce film sinon ils n’y seraient pas allés. Ils ont fait évoluer la représentation du film qu’ils avaient. Mais cette évolution peut intervenir éventuellement encore après la projection. Gene D. Philipps notait dans Stanley Kubrick interviews [2] : « les premières critiques, écrites pour les quotidiens et les hebdomadaires avec des délais très courts, jugèrent 2001 : l’odyssée de l’espace bien plus sévèrement que celles composées pour des mensuels qui avaient eu le temps de réfléchir au film ». Même sorti de la salle, le public serait susceptible de voir son imagination et sa réflexion sollicitées par les images et idées du film. Ainsi un film continuerait-il à vivre, même lorsque la copie définitive est livrée au public. Alphone de Lamartine avait raison : les objets cinématographiques ont bien une âme ... [1] - Cette réalité a été juridiquement actée par la cour d’appel de Paris (décision du 16 mars 2009) qui a débouté le réalisateur Alain Cavalier qui s’opposait à la diffusion de son film Thérèse (1989) dans une émission télévisée de débat sur la foi alors qu’il considérait qu’il avait seulement montré une « femme amoureuse d’un homme mort il y a près de 2000 ans » [2] - Philipps Gene D. (2001), Stanley Kubrick interviews, Gene D. Phillips, University Press of Mississippi, Jackson |
Docteur en Sciences de l'information et de la communication, Laurent Darmon est devenu par cinéphilie un spécialiste de la réception cinématographique et de la sociologie du cinéma.
Il est l'auteur d'une thèse sur "l'itinéraire de l'évaluation d'un film par le spectateur au cinéma", anime des conférences et a été le Président de la Commission Cinécole 2016. Parallèlement, il est en charge du digital dans une grande banque française.
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