En 2012, le dernier classement de la BFI est paru. Il comprend 50 films et pour la première fois depuis 1962, il n'est plus dominé par Citizen Kane. C'est désormais Sueurs froides (Vertigo) d'Alfred Hitchcock qui a succédé au classique d'Orson Welles. Ce sont 846 critiques, distributeurs et autres responsables de festival qui ont voté.
On n'y retrouve que des classiques de l'histoire du cinéma, avec des écarts importants avec les palmares du grand public. La comparaison des 50 meilleurs films du classement de 2012 avec ceux du Top250 des cinéphiles du site IMDb est éloquente, même si l’existence de points de rencontre est aussi intéressante : aucun film commun dans les dix premiers et seulement 8 films pour les cinquante premiers des deux listes
En orange : nouvel entrant sorti en salles antérieurement au précédent classement
Quand on se penche sur l'évolution du classement de la BFI, on constate deux mouvements a priori opposés :
- Une cristallisation du bon goût sur un âge d'or du cinéma implicite et perdu. L’âge moyen des films du top 10 reste stable autour de 1946 depuis un demi-siècle et le film le plus récent date de 1968 et accuse donc déjà 44 ans. Au fil du temps, le nombre de changements d’un classement décennal à l’autre n’a cessé de se réduire. Si en 1962, 8 nouveaux films apparaissent dans la liste, ce chiffre chute régulièrement pour n’en trouver qu’un nouveau dans la dernière liste de 2012. Ironiquement, ce nouveau film date de 1929 ;
- Un renouvellement des œuvres référentes lent mais réel. Malgré cette cristallisation, les listes se sont bien renouvelées et deux films de 1952 sont encore présents en 2012 alors que trois autres films antérieurs à 1952 ont fait leur apparition. Ce renouvellement est très progressif et tend à se ralentir. Alors que des films récents (moins de 10 ans d’âge au moment du classement) apparaissent régulièrement dans les trois premiers classements, ce n’est plus le cas depuis 40 ans. Un film comme Sueurs froides, qui occupe la place de leader en 2012, n’était même pas classé en 1962 et 1972. Son accueil initial à sa sortie fut même très mitigé par la profession (à l’exception notable des Cahiers du cinéma).
D’une part, un respect des règles du « bon goût » cinématographique dans une certaine orthodoxie qui donne une importance forte au poids du temps et de l’histoire. C’est en intégrant ces règles que le critique a appris son métier et a forgé sa culture qui justifie sa position cinéphilique particulière. Elle lui permet de se distinguer du grand public qui vit dans l’actualité du cinéma et des diffusions à la télévision. Les films cités ne sont donc pas des références partagées avec le public. Même les années 60 qui permettraient cette rencontre ne s’y prêtent pas trop : sur le site IMDb, des films comme Douze hommes en colère (Sidney Lumet, 1957) ou les westerns de Sergio Leone Le bon, la brute et le truand (1966) et Il était une fois dans l’Ouest (1968) occupent des places de choix, mais sont ignorés des critiques. Le premier film en commun des deux top50 critiques et internautes d’IMDb est 14ème (Apocalypse now), ils sont deux dans les 30 premiers (Le parrain est 21ème) et 8 au total sur les cinquante premiers.
Le critique et le public ne voient pas vraiment le même film lorsqu’ils évoquent leurs goûts. Les critiques ont une approche égocentrique de la place du critique dans l’histoire du cinéma alors que le public cède à une émotion qui provient de sa confrontation très personnelle avec un film ancré dans le monde dans lequel il aimerait vivre ou comme il le voit aujourd’hui.
Finalement, la qualité d’un film pour le spectateur reste bien quelque chose de relatif. La satisfaction que procure un film au spectateur demeure toujours le résultat de la rencontre entre l’individu et l’objet filmique.