TimeOut est un site anglo-saxon de référencement des activités urbaines, des bonnes adresses aux expositions du moment, en passant par les films à voir. Dans le domaine cinématographique, il est connu pour proposer de nombreux classements des meilleurs films par genre, des meilleurs scènes ou des meilleurs personnages. Il vient de publier le résultat de son sondage réalisé auprès d'acteurs. Environ 80 ont répondu en donnant leurs 10 films préférés. On trouve dans ce panel essentiellement des comédiens anglo-saxons de moins de 40 ans et quelques acteurs à plus forte notoriété (citons Juliette Binoche, Cillian Murphy, Haley Joel Osment, Sarah Polley, Michael C. Hall, Andy Serkis). Le gagnant, d'une courte tête, est Tootsie devant l'inévitable - dans ce genre d'exercice - Le parrain. Personne ne l'a cité en tête, mais c'est bien lui qui est tout en haut. Un choix fait par des acteurs pas étonnant pour un film qui a comme héros ... un comédien. Une preuve encore de l'importance de l'empathie pour le spectateur. Tootsie eut du mal à se monter. Initialement, il y a une pièce de théâtre écrite au début des années 70 par le comédien Don McGuire qui racontait comment un acteur au chômage se travestit pour trouver un rôle sans le dire à son entourage. Elle ne fut jamais jouée, mais les droits furent acquis quelques années plus tard par le producteur à succès Robert Evans. Elle donna lieu à une adaptation en scénario en 1979 avant que celui-ci ne fut réécrit plusieurs fois. Parmi les auteurs qui contribuèrent, on trouve, non crédités, Barry Levinson (Rain man) et Elaine May (Le ciel peut attendre). Le tournage débuta début 1982 pour une sortie en décembre de la même année [1]. Le film de Sidney Pollack a toujours bénéficié d'une belle côte d'amour. En témoigne le triomphe qu'il acquit dès sa sortie en 1982. Le film a tout de suite été bien accueilli puisqu'il a rapporté 5,5 M$ (soit 15 M$ d'aujourd'hui) pour son premier week-end pour un budget de 21 M$. Si ce score parait faible aujourd'hui, il a été réalisé dans une combinaison raisonnable de 943 salles (il y en eu 1.200 au plus haut) et le record de l'année fut de 14,3 M$ pour le premier week-end de Star Trek 2. Ce résultat a permis à Tootsie de prendre la tête du box-office, position qu'il conserva tout de même 13 semaines de suite. Car c'est sur la longueur que le film montra sa puissance consensuelle à obtenir l'adhésion du public. Il est resté cinq mois pleins consécutifs dans le top5 du box-office américain. De tout temps, seul E.T. l'extraterrestre a fait mieux (le palmarès ici). Et le film de Steven Spielberg est sorti la même année. Car le drame de Tootsie dans l'histoire du cinéma, c'est d'avoir été négligé au profit de Gandhi et d'E.T. l’extraterrestre, sortis également en 1982. Le premier l'a devancé aux Oscars en obtenant 8 statuettes - sur 11 nominations - alors que le second est devenu le recordman du box-office avec un score en valeur absolu qui ne sera battu que par Titanic 15 ans plus tard. Et comme Tootsie est une comédie, il pâtit du peu de légitimité de son genre pour s'imposer auprès des cinéphiles. | Voici le classement complet : 1. Tootsie 2. The Godfather 3. A Woman Under the Influence 4. Cinema Paradiso 5. To Kill a Mockingbird 6. The Godfather Part 2 7. Annie Hall 8. Boogie Nights 9. The Red Shoes 10. Taxi Driver 11. Dog Day Afternoon 12. Goodfellas 13. Withnail and I 14. Kes 15. The Wizard of Oz 16. On the Waterfront 17. The Shining 18. Breaking the Waves 19. Pulp Fiction 20. Gladiator 21. La Haine 22. Jaws 23. Raging Bull 24. Who’s Afraid of Virginia Woolf 25. Some Like It hot 26. Fargo 27. Rosemary’s Baby 28. The Night of the Hunter 29. Chinatown 30. The Apartment 31. La Vie en Rose 32. There Will Be Blood 33. All About Eve 34. Life is Beautiful 35. Apocalypse Now 36. The Philadelphia Story 37. The Sting 38. Waiting for Guffman 39. Citizen Kane 40. Singin’ in the Rain 41. Festen 42. The Lives of Others 43. American Beauty 44. Leon (The Professional) 45. A Star is Born 46. Casablanca 47. A Matter of Life and Death 48. An American in Paris 49. Mean Streets 50. The Empire Strikes Back 51. The Turin Horse 52. The Princess Bride 53. This is England 54. The Royal Tenenbaums 55. Gone With the Wind 56. Midnight Cowboy 57. Nil By Mouth 58. Requiem for a Dream 59. All That Jazz 60. Truly Madly Deeply 61. Harold and Maude 62. Notorious 63. Being there 64. A clockwork orange 65. It's a wonderful life 66. The sacrifice 67. One flew over the Cuckoo's nest 68. Monster 69. A streetcar named desire 70. Blade runner |
Les classements ont tendance à mettre en avant toujours les mêmes films, entre les œuvres de l'histoire du cinéma lorsqu'on interroge des critiques et les films-stars d'IMDb quand on observe le choix du public. Vient de sortir un hit-parade qui met en avant un film moins habitué à être mis à pareille fête : le très sympathique Tootsie (1982) de Sidney Pollack. Comment en est-on arrivé là ? Lors de la dernière saison des oscars, début 2015, il y a eu une polémique de la part des défenseurs du film Selma qui reprochait aux votants, essentiellement des hommes et des blancs, de privilégier les films qui leur ressemblent. Voici une occasion de revenir sur une étude que nous avons menée en 2013 et qui montrait en effet l’impact du point de vue narratif sur la satisfaction. La participation du spectateur dans le film est un facteur positif de satisfaction. Donné comme l’un des sérieux favoris à sa sortie, le film biographique Selma (en vidéo ce mois-ci) sur Martin Luther King et sa lutte pour les droits civiques des afro-américains n’a récolté que deux nominations et finalement le seul oscar de… la meilleure chanson. On ne peut nier que les positions politiques de la réalisatrices au moment du vote (son soutien à la manifestation organisée à la non-inculpation du policier qui a brutalisé mortellement un père de famille noir) ont pu nuire à des votants qui ne voulaient pas être pris en otage. Il y a eu certes aussi une polémique sur la représentation de la position du président Lyndon Johnson, mais un film comme Gandhi en 1983 avait aussi généré des débats d’historiens sans que cela nuise à ses 8 oscars. La réalisatrice est prudente dans la formulation de son analyse mais évoque une piste sans ambiguïté. « Ce n’est pas une injustice, ce sont simplement des mathématiques. Le panel des votants pour la catégorie « meilleur réalisateur » est composé à 90% d’hommes blancs. Tirez-en les conclusions que vous voulez » disait Ava du Vernay. Il faut rappeler qu’un an plus tôt la même académie des Oscars avait consacré 12 years a slave qui décrit les mésaventures d'un noir américain libre, devenu esclave dans le sud américain du 19ème siècle. Pour autant, la critique de la réalisatrice de Selma nous semble pertinente car elle soulève le lien entre qui sont les votants et ce qu’ils pensent d’un film.
En allant dans son sens, on constate tout simplement que les films qui ont des adolescents comme héros gagnent rarement (on citera l’exception notable de Slumdog millionaire, version américainsé du bollywood movie) alors que c’est une grosse part de la production qui cible le public jeune, majoritaire en salles. Dans une étude parue il y a deux ans, j’avais soulevé ce lien. J’utilisais les données 2006/2009 de l’Observatoire de la satisfaction qui interroge chaque mercredi pour l’hebdomadaire Écran total environ 1000 spectateurs sur deux à quatre films. Je retenais notamment les genres de la comédie dramatique et de la comédie romantique. Le deuxième est un sous-genre du premier : une romance est une comédie dramatique dont le ressort narratif est fondé sur l’amour contrarié. Pourtant les écarts homme/femmes présentent une différence importante : 3,5 pour les comédies dramatiques et 10,4 pour les romances. Outre son thème de prédilection, la romance se distingue par le point de vue qui est adopté par le réalisateur. Si la plupart des films retiennent un regard masculin, la romance est souvent plus équilibrée : sur notre échantillon de 38 romances, 18 ont retenu un héros féminin pour porter la narration et 20 un héros masculin. Cela conforterait une lecture identitaire du film selon le sexe du spectateur et le caractère identificatoire du film. Pour Laura Mulvey (1975), il y a deux sources principales de plaisir visuel au cinéma : « le premier, scopophilique, résulte du plaisir à regarder une autre personne comme objet de stimulation sexuelle. L’autre, fondé sur le narcissisme et la constitution de l’ego, provient de l’identification à ce qui est observé ». Face aux films qui retiennent l’homme comme sujet et la femme comme objet, normalement la spectatrice « est réduite à constater sa propre réduction à l’état de support de l’activité masculine et doit en refuser le principe » (Esquenazi, 2003).
Le mensuel Première a la bonne idée cette année de sortir pour l'été un numéro hors série consacré aux films moins connus qui méritent d'être vus. Le dossier se concentre sur les 50 dernières années, ce qui offre un grand choix. Il y en a bien pour tous les goûts. Dont Sorcerer, sorti le 15 juillet.
L'intérêt de cette sélection est de pointer sur des films méconnus, passés à côté de leur public mais qui pourtant sont parvenus pour certains à se faire une place dans le cœur de quelques spectateurs. Le journal a la bonne idée d'interroger quelques personnalités du cinéma qui livrent leur chef d’œuvre mal aimé. Ainsi Ryan Gosling, Garpar Noé ou encore Benicio Del Toro livrent leur secret cinéphilique.
Il y a bien sûr dans cette liste des films qui n'avaient pu défendre leur chance, avec une exploitation restreinte ou un budget marketing réduit, voir pas du tout présentés au public. On y trouve des premiers films de réalisateurs de premier plan avant qu'ils ne soient reconnus (Gallipoli de Peter Weir ou I wanna hold your hand de Robert Zemeckis) ou au contraire des films qui ont coulé leur auteur avec eux (Leolon de Jean-Claude Lauzon).
Mais ce qu'on retiendra surtout, ce sont ces films qui avaient justement bénéficié d'une large distribution, mais qui n'avaient retenu l'attention de presque personne. Une façon de les sortir du purgatoire. Le journal fait d'ailleurs en introduction son mea culpa à propos du Convoi de la peur de William Friedkin, deuxième adaptation datant de 1977 d'un roman français après le salaire de la peur. Première avait écrit dans son numéro de novembre 1978 à propos du nouveau film du réalisateur de French connexion et L'Exorciste : "voila un film qui ne laissera pas un grand souvenir". Et pourtant, même s'il est vrai que Sorcerer - son titre original - a été mal accueilli par les spectateurs de l'époque (6 M$ de recettes aux États-Unis et 382.000 spectateurs en France), il a fait son chemin. Sa note sur IMDb est désormais de 7,7, bien supérieure à la moyenne de 7, même s'il demeure en retrait du premier film d'Henri-Georges Clouzot (8,2). Le film a tellement été réévalué qu'il bénéficie d'une restauration et d'une reprise en salles cette été, événement devenu rare pour un film qui n'est pas un classique. Et cela après un passage par la Cinémathèque en 2013. Le réalisateur était alors venu lui-même présenter son film dans un cycle intitulé "toute la mémoire du monde". 50 nuances de Grey a été l'un de gros succès en salles de l'année (4 millions d'entrées en France) et la vidéo/vod disponible depuis mi-juin devrait lui réussir également, malgré de mauvaises critiques et surtout des avis du public peu enthousiastes. Les récentes mésaventures de Love de Gaspar Noé avec le processus de certification montrent que rien n'est simple avec le nu. Retour sur un genre qui disparait pour mieux renaitre périodiquement dans de nouveaux contextes. En 1975, les films érotiques et pornographiques (on ne faisait pas encore légalement la différence) ont représenté jusqu'à 20% de la fréquentation dans Paris intra-muros et environ 15% en France [1]. Les films érotiques / pornographiques ont même constitué la moitié des films diffusés. Quatre films avec scènes de sexe non simulées dépassèrent même le seuil du million de spectateurs entre 1973 et 1975 en France, se classant dans les 30 plus gros succès annuels, avant que la loi du 31 octobre 1975 ne mette un terme à cette tendance, avec la création de la catégorie des films X frappés d'une taxe spéciale et d'une obligation d'être diffusés dans un circuit d'exploitation spécifique. Le genre survivra correctement encore quelques années dans une exploitation de ghetto (encore 13% des entrées Paris-ville en 1981) mais il disparaîtra avec l'essor de la cassette vidéo VHS. La dernière salle parisienne, le Beverley (75002), fait encore de la résistance. Mais pour combien de temps ? [Mise à jour 11/11/17 : Le Beverley a annoncé sa fermeture en décembre 2017 ou janvier 2018] Les films érotiques ont également pratiquement disparu des salles. Pourtant chaque décennie apporte son succès qui rappelle que la nudité sait toujours attirer l'attention du public :de 9 semaines 1/2 (1985) dans les années 80 à 50 nuances de Grey (2015) récemment en passant par l'Amant (1992) ou Eyes wide shut (1999).
L'affiche du film français, Un moment d'égarement (2015), a créé une petite polémique récemment sous l'impulsion de l'actrice Frédérique Bel (ex-blonde de Canal+) car le nom des deux actrices principales n'était pas repris sur l'affiche contrairement à celui des deux comédiens masculins : "ils ont aussi égaré le nom des actrices ?" avait-elle ironiquement demandé sur Twitter. Il n'en a pas fallu d'avantage pour entendre des accusations de sexisme. Nous ne rentrerons pas dans le débat de savoir si la société ou le monde du cinéma est sexiste, sans pour autant minimiser l'importance de l'enjeu sous-jacent. En revanche, nous nous étonnons de voir une telle polémique alors qu'une affiche est construite selon trois principes :
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Docteur en Sciences de l'information et de la communication, Laurent Darmon est devenu par cinéphilie un spécialiste de la réception cinématographique et de la sociologie du cinéma.
Il est l'auteur d'une thèse sur "l'itinéraire de l'évaluation d'un film par le spectateur au cinéma", anime des conférences et a été le Président de la Commission Cinécole 2016. Parallèlement, il est en charge du digital et de l'innovation dans une grande banque française.
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