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A sa sortie en 1974, le film Emmanuelle (Just Jaeckin, 1974) rencontra un succès retentissant auprès des français et connut surtout une carrière sur la durée en devenant une attraction à touristes exploitée dans une salle des Champs-Elysées - l'UGC Triomphe - pendant plus de 10 ans. Malgré le succès du genre à l’époque, aucun autre film érotique n’avait approché son résultat enviable de 8,9 millions de spectateurs en France (en en faisant même le plus gros succès de la décennie 1970). Les films érotiques bénéficiaient certes de la libéralisation de mœurs, mais la loi de 1976 sur la création du cinéma pornographique remit en avant le peu de moralité du « nu pour le nu » [2].
Le succès d’Emmanuelle s’étant transformé en phénomène de société, ce film et ses avatars quittaient aux yeux du grand public l’indexation de film érotique pour intégrer une autre indexation acceptable : les films de Just Jaeckin, l'érotique chic grand public, le phénomène de société… Ainsi le spectateur pouvait-il garder une cohérence quant à sa morale : il continuait à maintenir son goût initial défavorable au cinéma immoral tout en affirmant un nouveau goût pour une production cinématographique plus précise. Il y a bien alors une évolution des préférences de second niveau par application d’une stratégie consistant à ajuster un critère d’expérience pour distinguer des films entre eux sur la base de sous-index. Dans le cas présent, les films érotiques ont vu leur niveau de préférence augmenter par différence avec la production pornographique. Ce cas est intéressant car le succès d’Emmanuelle
Les limites d'un genre sont donc relatives et mouvantes.
Un certain cinéma de genre se nourrit aussi de ce type de phénomène. Certains cinéphiles rejettent le cinéma d’action en général pour assumer parallèlement une attitude très favorable pour des films de niche parfois extrêmes auxquels ils attachent un goût élitiste. Quentin Tarantino a été le porte-drapeau de cette tendance qui bénéficie d’une presse spécialisée organisée (on citera le magazine Mad Movies par exemple). La Palme d’or octroyée en 1993 à Pulp fiction a d’ailleurs grandement aidé à sortir le film de genre d’un ghetto peu légitime, permettant aux films dits de sous-culture d’offrir au spectateur un autre regard moral. On pourra citer également le cas dans les années 80 du cinéma d’épouvante qui a trouvé une nouvelle légitimité lorsque certains cinéastes (Sam Raimi, James Cameron, David Cronenberg, John Carpenter …) qui avaient œuvré dans le genre ont commencé à percer dans des films à succès moins « immoraux ». Ces évolutions sont restées néanmoins l’apanage des cinéphiles plus que du grand public, contrairement au cas des films érotiques précédemment évoqué.
Ces exemples nous rappellent à quel point nos perceptions sont liées à des référentiels sociologiques qui évoluent. Cela devrait nous rendre plus humbles devant certains débats.
[1] - Source : Ciné Audience (1982) - Simon Darcan
[2] - La loi de 1976 obligea les films pornographiques à être exploités dans des salles spécialisées touchées par une taxe spécifique. La fréquentation des films labellisés X chuta fortement, affectée par l’image immorale qui toucha ces salles. Les films érotiques échappaient à ce système. Ils bénéficièrent tout d’abord d’un effet d’éviction puis furent affectés par adhérence thématique à ce mouvement moral conservateur.