Il est difficile de définir le public les blockbusters car chaque année le nombre de films dépassant 4 millions de spectateurs est assez faible : À peine trois à cinq par an. De fait, la structure de ce public varie selon qu’on y trouve des dessins animés des comédies ou des films d’action.
Disney règne en maître sur le box-office mondial suite aux rachats et à l'exploitation commercialement intelligente des droits de Marvel et de Lucasfilm. Pourtant si le public visé semble comparable, dans les faits, on constate des nuances significatives pour ces franchises nées dans les années 60 et 70. Le public des blockbusters est sociologiquement différent de celui des comédies françaises ou des films d'auteurs. Cette intuition partagée par le public se vérifie dans les études sur la sociologie du public ou les approches marketing menées désormais régulièrement par des instituts spécialisées. Même si derrière cette hétérogénéité de la structure du public se cache aussi des spectateurs omnivores qui n'hésitent pas à consommer du cinéma sous toutes ses formes. Il y a un public qui ne se déplace que si ça vaut le coup, c'est à dire là où il y a du "money shoot" qu'on ne voit pas ailleurs et d'autres qui refusent d'aller en salles pour voir une énième version des gentils contre les méchants dans un monde qui n'a rien à voir avec la "vraie vie".
Il est difficile de définir le public les blockbusters car chaque année le nombre de films dépassant 4 millions de spectateurs est assez faible : À peine trois à cinq par an. De fait, la structure de ce public varie selon qu’on y trouve des dessins animés des comédies ou des films d’action. Le public n'a pas répondu en masse à la proposition de Jacques Audiard de suivre l'histoire de Dheepan. On ose à peine imaginer la carrière du film au box-office sans sa Palme d'or. Avec 212.000 spectateurs en une semaine, le film de Jacques Audiard fait un score sympathique pour un film difficile, sans star et qui suit le destin d'un immigré Sri Lankais. Le bilan des films sociaux d'un Ken Loach n'est pas meilleur, même avec des héros occidentaux : Looking for Eric (170.000 entrées en une semaine), The navigators (70.000), My name is Joe (105.000)... Sa Palme d'or, Le vent se lève, avait tout de même été vu par 283.000 spectateurs lors des sept premiers jours d'exploitation pour un total de 907.000 entrées. Néanmoins Dheepan partait avec un avantage puisque Jacques Audiard était habitué à faire plus de 1,2 million, même avec Un prophète, sans star en tête d'affiche. La notoriété du réalisateur et sa récompense lui ont permis d'avoir une combinaison de 310 salles. C'est à la fois raisonnable et volontariste pour bien être présent dans les principales villes de France. Tous les films d'auteur n'ont pas cette chance.
Depuis dix ans, aucune Palme d'or d'un film étranger n'a réussi à dépasser le seuil du million de spectateur (le box-office complet depuis 1949 ici). Il en sera de même pour le "français" Dheepan alors que La vie d'Adèle (1.036.000) et Entre les Murs (1.612.000) avaient dépassé ce seuil. Mais Dheepan plait moins aux spectateurs que ses eux prédécesseurs cannois : sa note est de 6,9 contre respectivement 7,9 et 7,5 pour les deux autres Palme françaises récentes. Et surtout la dernière œuvre de Jacques Audiard stimule moins les spectateurs. Son héros Sri Lankais qui s'installe dans une cité sensible et qui reconstitue une famille de circonstance est bien différent des films français habituels (et tant mieux !). Les spectateurs qui viennent chercher évasion, divertissement ou spectacle savent qu'il y a bien mieux au cinéma dans le domaine. Il est donc difficile de créer du désir pour une grande partie du public. De plus, même si cette chronique sociale est édifiante, elle est aussi exigeante. De nombreux spectateurs qui ont envie de voir ce film qu'ils savent de bonne qualité, Palme d'or oblige, peinent donc à trouver la motivation de se déplacer. Et pourtant, sans Palme d'or, le score du film aurait été bien plus faible. Lorsque des films aussi difficile (au sens commercial) que 4 mois, 3 semaines, 2 jours (Palme 2007 réalisé par le roumain Cristian Mungiu) ou Winter Sleep (Palme 2014 du turc Nuri Bilge Ceylan) font environ 350.000 entrées en fin de carrière, on peut crier que c'est faible pour une Palme d'Or, mais c'est sans doute au moins trois fois plus que ce qu'ils auraient fait sans la reconnaissance cannoise. Le précédent film de Nuri Bilge Ceylan, Il était une fois en Anatolie, qui avait reçu pourtant le Grand Prix du jury pour un sujet moins austère n'avait attiré que 137.000 spectateur en fin de carrière. Le film suivant de Cristian Mungiu, Les contes de l'âge d'or, n'a fait que 60.000 spectateurs. Il est parfois intéressant de s'interroger sur soi-même comme spectateur. Finalement on ne connait que soi et son propre comportement est révélateur d'au moins une expérience spectatorielle. Récemment, je me suis surpris à vouloir revoir absolument Interstellar avec mes enfants qui ne l'avaient pas vu : "Attendez-moi pour le regarder celui-là!". Pourtant à sa sortie au cinéma, j'étais allé le voir dans une belle salle Imax, ce qui est adapté pour ce film qui est projeté dans ce format (plus carré en 1:44) lors des scènes dans l'espace et en 16/9 allongé (en 1:90) pour les scènes d'intérieur ou sur terre. C'était seulement quatre mois plus tôt. Quatre mois pour revoir le même film quand il y a tant d'autres à voir pour la première fois, est-ce bien rationnel ? Il y a deux systèmes pour juger de sa satisfaction. Le premier est fondé sur des attentes et la constatation d'un plaisir moins ou plus grand qu'attendu. C'est ce qu'on appelle la disconfirmation des attentes. Le deuxième, qui s'est largement développé depuis 20 ans, se base sur le concept de divergence par rapport au schéma. Cette notion de schéma est empruntée au concept développé par les cogniticiens dès les années 30 pour expliquer le fonctionnement de la mémoire et les réactions par rapport aux souvenirs. Frederic Bartlett (1932), qui est à l’origine de ce mouvement, la définissait comme « une organisation active des réactions et expériences passées, qui est supposée être opérationnelle par l’organisme si besoin ». Ils sont essentiels pour mémoriser et traiter une information. La divergence par rapport au schéma relève de la surprise. Dans le cas d'Interstellar que j'ai revu, il est clair que la surprise était minime dans la mesure où j'avais déjà vu le film et que je m'en souvenais bien. Un film a beau être disponible à tous, souvent vu par des millions d’individus, parfois en même temps, il reste un objet singulier. Comme l’indique Lucien Karpik dans L'économie des singularités (2007), « chaque interprétation requalifie le produit » car il n’y a pas de mesure objective de ses qualités. Le caractère reproductif de son support, davantage encore aujourd’hui qu’hier avec l’essor des supports numériques, amplifie sa dimension collective, mais ne change rien à sa singularité. Au contraire, plus sans doute que la plupart des autres biens incommensurables, le film s’inscrit par sa large diffusion dans un paradoxe social : sa singularité se démontre par la multiplication des expériences qui en sont faites. C’est dans la multiplicité que la singularité du film s’affirme. Retour sur le livre de Lucien Karpik dont nous recommandons la lecture. American sniper a connu une sortie triomphale dans le salles américaines, à un niveau rarement atteint par un film qui ne s'appuie ni sur une marque forte, ni sur un film précédent. Les succès précédents du réalisateur n'expliquent que partiellement ce succès immédiat.
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Docteur en Sciences de l'information et de la communication, Laurent Darmon est devenu par cinéphilie un spécialiste de la réception cinématographique et de la sociologie du cinéma.
Il est l'auteur d'une thèse sur "l'itinéraire de l'évaluation d'un film par le spectateur au cinéma", anime des conférences et a été le Président de la Commission Cinécole 2016. Parallèlement, il est en charge du digital et de l'innovation dans une grande banque française.
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