Le dernier fabricant de magnétoscope, Funai Electric, vient d'annoncer que le format ne serait plus commercialisé à partir de cet été. Le magnétoscope marquait un tournant dans le rapport à la télévision et au cinéma. Étrangement, ses successeurs n'ont pas repris ses apports de valeur pour les cinéphiles. Lorsque la cassette vidéo est arrivée dans les foyers il y a 40 ans, elle révolutionnait le rapport à l'image. Jusque-là, l'image animée grand public se limitait au cinéma et à la télévision qui avait fait du film l'un des joyaux de leur programmation. Avec la sortie du Betamax en 1975 et du VHS un an plus tard, le cinéphile pouvait désormais détenir un film. Ce matériel arriva en France en 1978 et, quatre ans plus tard, le gouvernement dû mettre les magnétoscopes japonais sous embargo pour ne pas trop détériorer notre balance des paiements. Au début, le prix des magnétoscopes et des cassettes destinait le matériel aux professionnels. Seul le prix des cassettes pré-enregistrées est resté à un niveau particulièrement onéreux au début. Le monde du cinéma craignait fortement cette nouvelle concurrence. La fréquentation cinématographique s'était effondrée de 450 millions à 170 millions de billets vendus en salles par an et cela faisait à peine quelques années que la fréquentation parvenait à se stabiliser sur ce pallier.
Les chiffres français du marché de la vidéo physique ne sont pas bons. La numérisation des supports aurait pu relancer le secteur, mais le marché de la VoD montre également ses premiers signes de faiblesse. Inquiétant pour un marché de la vidéo qui était devenu le premier marché du cinéma. En dix ans, le panorama de la vidéo a bien changé comme le montre une récente étude du CNC consultable ici. Au milieu des années 2000, on voyait la VHS disparaître alors que s'annonçait l'arrivée du Blu-Ray. La VHS a pratiquement disparu en 2005 et le blu-ray a fait son apparition en 2007. Il y a donc eu une période où le DVD était roi. Il est d'ailleurs encore largement dominant, représentant les trois quart des achats physiques. Sur les nouveaux supports, le film de fiction s'est imposé depuis longtemps comme le genre dominant alors qu'il était minoritaire au début, sans doute parce que les prix des premiers DVD étaient à un niveau qui le destinait économiquement et symboliquement à des genres à usage multiple (musique, enfant, documentaire) ou aux films-évènement. En valeur, le marché s'est effondré, chutant de près de moitié entre 2003 et 2014. Il représente désormais moins d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires cumulé (TTC). La vidéo physique a baissé encore plus vite puisqu'elle est passé de 1.975 M€ à 798 M€ en 2014. Le premier semestre 2015 montre une poursuite de la chute (-14,5%) Si cette baisse était initialement uniquement en valeur (le nombre d'unités vendues restait constant autour de 140 millions de DVD/Blu-ray), la chute est brutale en volume depuis quatre ans, amenant les professionnels à résister sur la baisse des prix. On constatait même en 2014 une augmentation des prix des DVD de catalogue - c'est-à-dire hors nouveauté - de 2,8%, soit nettement plus que l'inflation ; le prix moyen s'élève à 8,9€. Mais 2015 montre que cette résistance sur les prix touche à sa fin et que la baisse des prix reprend : -4,3% sur les nouveauté et -4,9 sur les vidéos physique "catalogue". Au niveau des nouveautés, le prix des blu-rays (20,9€) reste bien supérieur à celui du DVD (à 15,65€), permettant de segmenter le marché. Même si l'écart de prix tend à se réduire avec le DVD, le blu-ray reste un produit haut-de-gamme ; il ne parvient pas à créer un effet d'éviction du DVD alors que les téléviseurs HD sont devenus la norme (taux d'équipement à 82% fin 2014) Le blu-ray 3D, qui aurait pu être un moteur du support, ne décolle pas : avec 484 références, il ne représente que 1,3% des volumes de la vidéo physique, bien loin du taux d'équipement en téléviseur 3D de 14%. Le numéro 222 des Années laser vient de sortir avec un édito qui évoque une filière qui a bien du mal à s'organiser. C'est bien dommage en temps de crise de la vidéo. La vidéo ne se porte pas très bien avec une baisse de 16,7% en 2014. Pour compenser, les distributeurs multiplient les références depuis quelques années. Mais, comme fabriquer et distribuer des supports physiques est coûteux, il arrive parfois que la vidéo dématérialisée se substitue totalement à la vidéo physique. Ce mouvement est encore très timide puisque seuls 7 titres sont dans ce cas pour 207 films sur support physique lors du premier quadrimestre. Mais il est certain que c'est le début d'un mouvement. Ces chiffres proviennent d'un article du dernier numéro du mensuel Les années Laser (en vente depuis le 29 août). On peut sans doute se réjouir d'un phénomène qui a concerné la musique et touchera sûrement les films également : "la longue traine". Il s'agit d'une politique consistant à vendre de petit volume sur un grand nombre de références. C'est l'une des raisons historiques du succès d'Amazon et de Netflix à leur début sur internet. C'est la baisse ou disparition du coût de stockage qui permet une économie de "la longue traine". Le numérique permet cela aisément. Déjà des plateformes comme Canalplay proposait plus de 1.400 films fin 2014, soit bien plus qu'une grande surface n'a de références à un moment donné. Mais c'est encore bien peu par rapport au patrimoine cinématographique : rien qu'en France, il sort plus de 500 films par an. On n'en est donc qu'à l’équivalent de trois ans de l'offre en salles. On peut s'attendre donc à ce que la VoD permette à terme d'avoir accès à un choix plus grand de film. Bien sûr, cela veut dire que certains distributeurs vont devoir s'adapter et certains devront fermer. On ne pourra que regretter les conséquences néfastes pour des acteurs qui ont tant apporté au cinéma. Mais c'est une transformation globale du secteur et non sa disparition. Le secteur cinématographique se porte globalement bien : il n'y a jamais eu autant d'argent, de spectateurs dans les salles et de films. L'industrie cinématographique doit continuer à s'adapter. Le numérique a transformer le projection ; il touche désormais largement la distribution. Le journal Les années Laser dans son dernier éditorial fait d'ailleurs un constat très intéressant. Si l'exploitation en salles s'est organisée dès 1937 pour centraliser sur un jour dans l'année la sortie des films (le jeudi jusqu'en 1972 où c'est le mercredi qui est devenu le jour chômé des enfants scolarisés), elle en a tiré de vrais avantages : organisation de la filière, visibilité dans les médias ce jour-là, clarification pour les spectateurs. La filière vidéo n'a jamais réussi à s'organiser de la même façon alors que les avantages pour créer l'événement médiatique auraient été comparables : le mensuel constatait d'ailleurs qu'en septembre sur 350 titres annoncés (pause estivale oblige), 110 sortiront le premier jour du mois. Attention à l'embouteillage ! Il n'y aura sûrement pas de la place pour tout le monde dans les linéaires. Et la VoD ne prend pas non plus un meilleur chemin avec une politique de promotion des film souvent embryonnaire et sans cohérence entre les 90 plateformes françaises. On notera quand même l'initiative bienvenue du distributeur WildBunch qui a lancé en mars 2015 la démarche du eCinema : un film exploité en première fenêtre en VoD, au prix d'une place de cinéma, sans passer par la salle, avant une distribution sur support physique et en VoD classique quatre mois plus tard. Une façon de créer l'évènement et comme par hasard, un jour fixe a été choisi (le vendredi). Une démarche à généraliser donc. |
Docteur en Sciences de l'information et de la communication, Laurent Darmon est devenu par cinéphilie un spécialiste de la réception cinématographique et de la sociologie du cinéma.
Il est l'auteur d'une thèse sur "l'itinéraire de l'évaluation d'un film par le spectateur au cinéma", anime des conférences et a été le Président de la Commission Cinécole 2016. Parallèlement, il est en charge du digital dans une grande banque française.
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