Le dernier fabricant de magnétoscope, Funai Electric, vient d'annoncer que le format ne serait plus commercialisé à partir de cet été. Le magnétoscope marquait un tournant dans le rapport à la télévision et au cinéma. Étrangement, ses successeurs n'ont pas repris ses apports de valeur pour les cinéphiles. Lorsque la cassette vidéo est arrivée dans les foyers il y a 40 ans, elle révolutionnait le rapport à l'image. Jusque-là, l'image animée grand public se limitait au cinéma et à la télévision qui avait fait du film l'un des joyaux de leur programmation. Avec la sortie du Betamax en 1975 et du VHS un an plus tard, le cinéphile pouvait désormais détenir un film. Ce matériel arriva en France en 1978 et, quatre ans plus tard, le gouvernement dû mettre les magnétoscopes japonais sous embargo pour ne pas trop détériorer notre balance des paiements. Au début, le prix des magnétoscopes et des cassettes destinait le matériel aux professionnels. Seul le prix des cassettes pré-enregistrées est resté à un niveau particulièrement onéreux au début. Le monde du cinéma craignait fortement cette nouvelle concurrence. La fréquentation cinématographique s'était effondrée de 450 millions à 170 millions de billets vendus en salles par an et cela faisait à peine quelques années que la fréquentation parvenait à se stabiliser sur ce pallier.
Il est temps de faire le bilan du premier semestre 2016 : il se solde par une progression enviable de la fréquentation de 5,4%. Il traduit le dynamisme d'un loisir qui résiste à tout, y compris à ceux qui annonçaient la disparition des films du milieu. Il faut juste que les films du milieu soient également événementiels à leur façon. Même en léger retrait, la fréquentation 2015 était très satisfaisante car on navigue toujours à un niveau record par rapport à la fréquentation moyenne des cinquante dernières années. Avec 206 millions de spectateurs en 2015 en France, on est à un niveau nettement plus haut que les autres pays européens comparables :
L'évolution de la fréquentation de 5,4% sur les six premiers mois de 2016 intervient donc dans un environnement favorable au cinéma. Et la perspective de battre le record de 2011 (217 millions d'entrées) n'est pas inaccessible quand on est déjà à 107 millions à mi-parcours. Étrangement serait-on en droit de se dire à première vue car la télévision souffre de la concurrence d'internet et des loisirs digitaux, le jeux-vidéos et les échanges sociaux en tête. Le cinéma fait plus que résister, puisqu'il bat des records malgré un contexte pas si facile : entre les risque d'attentats, les grèves et l'Euro de foot, il y avait matière pour justifier une désaffection de la sortie en salles. Surtout que le recul du programme film à la télévision et en vidéo montrent que le produit cinéma "payant" a perdu de son attrait. Le piratage et la multiplication de l'offre avaient tout pour faire perdre au film de son attrait spécifique.
A côté de la Compétition officielle qui a sacré Moi, Daniel Blake, il y a le marché professionnel où producteurs et distributeurs font une grande partie de leur année. Difficile pour les films de se faire remarquer car les films doivent être vus pour être achetés. Le plus souvent. A Cannes, parallèlement au festival qui permet à des films d'être exposés au plus grand nombre, il y a une autre compétition au sein du Marché du film : il s'agit aussi d'attirer l'attention pour des films à la recherche d'un distributeur ou de la promotion la plus large possible.
Et là, tous les films ne jouent pas dans la même cours. En fait, il y a trois groupes. Les premiers, on les remarque facilement car ils occupent les emplacements les plus visibles, donc les plus chers, devant les grands hôtels de la Croisette. Cette année, Le Bon Gros Géant (très apprécié des festivaliers) et Star Trek sans limite (quelques images impressionnantes montrées à Cannes) étaient les mieux mis en avant. Ces films ne cherchent même plus à mettre leurs arguments en avant : ils affirment qu'ils seront bientôt là et ça suffit. Ainsi Disney fait l'impasse du nom de Steven Spielberg sur ses panneaux géants. On sait que le réalisateur du Pont des espions s'efface devant ses films pour ne pas leur voler la vedette (Cf. l'article ici). De mémoire de festivalier, il n'était jamais allé aussi loin, c'est-à-dire jusqu'à disparaître complètement. Ça fait longtemps que ces films sont déjà vendus à leurs distributeurs internationaux, mais il faut les persuader d'investir dans le marketing et en profiter pour avancer une communication institutionnelle pour le studio concerné qui a d'autres poulains cinématographiques à défendre. |
Docteur en Sciences de l'information et de la communication, Laurent Darmon est devenu par cinéphilie un spécialiste de la réception cinématographique et de la sociologie du cinéma.
Il est l'auteur d'une thèse sur "l'itinéraire de l'évaluation d'un film par le spectateur au cinéma", anime des conférences et a été le Président de la Commission Cinécole 2016. Parallèlement, il est en charge du digital et de l'innovation dans une grande banque française.
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