John Williams a prévu d'accompagner la saga Star Wars jusqu'à l'épisode 9 avant de prendre sa retraite. Presque un devoir pour lui, à 86 ans, que de chercher à accompagner l'aventure initiée par George Lucas il y a 40 ans et pour laquelle il reste si attaché dans la mémoire collective. Pourtant, cette musique a elle aussi sa petite histoire.
Quand George Lucas se lance dans La Guerre des Etoiles, l'aventure a tout du pari risqué : la science-fiction reste attachée à un genre mineur et George Lucas n'est que l'homme d'American Graffiti, triomphe de 1973 qui s'appuyait sur sa bande-son rock du début des années 60. Certes, la Fox a connu un joli succès avec La planète des Singes en 1968. Oui, 2001, l'odyssée de l'espace a montré la même année ce qu'on peut faire avec un film se déroulant dans l'espace. Mais tout ça n'a pas vraiment lancé le genre (même si le film tiré du roman de Pierre Boule a généré ses quatre suites entre 1970 et 1973). George Lucas se trouve donc en terrain presque vierge lorsqu'il s'interroge sur la musique de son space opera.
La musique des films de Science-fiction n'avait pas vraiment trouvé son propre univers. On suivait les tendances des soundtracks de film en général. La musique était donc encore largement symphonique dans les années 60, pour devenir parfois plus atonale à la fin des années 60 et au début des années 70 dans la mouvance psychédélique post-68 comme pour Barbarella. De nouveaux instruments commencent à être utilisés pour créer des ambiances particulières comme dans L'âge de Cristal, mais les cuivres sont encore largement répandus pour créer de la tension dans les scènes d'action alors que les violons reviennent volontiers dans les scènes sentimentales. La musique électronique commence à être aussi de plus en plus utilisée dans ce type de film, mais le thérémine, premier instrument électronique, avait déjà trouvé sa place à Hollywood dans les années 50, notamment pour relever l'étrangeté des séquences de rêve. Le thérémine avait d'ailleurs été sollicité par Bernard Hermann dans la scifi pour Le jour où la terre s'arrêta. Le succès de La planète des singes est parvenu néanmoins à imposer, via le score de Jerry Goldsmith, une musique atonale qui sera reprise avec plus ou moins de succès dans les films fantastiques de la première partie des années 70.
Les plus jeunes découvrent les films dans un environnement distinct de celui de leurs aînés : expériences cinéphiliques différentes, proposition de films enrichie, habitudes générationnelles etc. A chaque génération, il faut réimaginer ce qu'un film signifie pour ses nouveaux spectateurs. La Saga de George Lucas est à ce titre un cas d'école. Star Wars a imposé sa mythologie à travers la richesse de son univers, la cohérence des histoires et la symbolique de ses personnages. Cette richesse offre finalement de multiples portes d'entrée entre préquel, séquel, spin-off et univers étendu. Il y a des grandes questions qui obsèdent les fans de cinéma et pour lesquelles il serait vain de chercher à apporter des réponses. La toupie d'Inception s'arrête-t-elle de tourner ? Deckard est-il un réplicant dans Blade Runner ? Que dit Bill Murray à l'oreille de Scarlett Johansson à la fin de Lost in translation ? En fait, ces questions perdurent dans la mythologie cinéphilique parce qu'il n'y a pas de réponse évidente. Même lorsque Ridley Scott apporte une réponse pour Blade Runner ("c'est un replicant"), les spectateurs ne sont pas convaincus (et Harrison Ford non plus). Dans quel ordre voir les films Star Wars fait partie de ces questions qu'il serait vain de trancher tant les arguments peuvent s'opposer. Et là encore, l'avis de George Lucas qui privilégie l'ordre chronologique n'a pas plus de valeur que celui d'autres spectateurs puisqu'en offrant ses films dans l'espace public, son créateur laisse chaque spectateur en faire ce qu'il veut. Le public a autant de droit à poser sa propre appréciation que de définir la carrière de spectateur idéal pour voir les films de la série La Guerre des Etoiles. C'est pourquoi la façon la plus naturelle d'un spectateur de répondre à cette question sur l'ordre de visionnage idéal revient souvent à se reporter à sa propre expérience. Ceux qui ont connu la sortie des films depuis la première trilogie (77/80/83) avant la prélogie (99/02/05) défendent souvent l'ordre de réalisation [1]. A l'inverse, les plus jeunes qui ont grandi avec le personnage d'Anakin Skywalker voit plus de logique à suivre le personnage grandir et évoluer de film en film.
Disney règne en maître sur le box-office mondial suite aux rachats et à l'exploitation commercialement intelligente des droits de Marvel et de Lucasfilm. Pourtant si le public visé semble comparable, dans les faits, on constate des nuances significatives pour ces franchises nées dans les années 60 et 70. Le public des blockbusters est sociologiquement différent de celui des comédies françaises ou des films d'auteurs. Cette intuition partagée par le public se vérifie dans les études sur la sociologie du public ou les approches marketing menées désormais régulièrement par des instituts spécialisées. Même si derrière cette hétérogénéité de la structure du public se cache aussi des spectateurs omnivores qui n'hésitent pas à consommer du cinéma sous toutes ses formes. Il y a un public qui ne se déplace que si ça vaut le coup, c'est à dire là où il y a du "money shoot" qu'on ne voit pas ailleurs et d'autres qui refusent d'aller en salles pour voir une énième version des gentils contre les méchants dans un monde qui n'a rien à voir avec la "vraie vie".
Il est difficile de définir le public les blockbusters car chaque année le nombre de films dépassant 4 millions de spectateurs est assez faible : À peine trois à cinq par an. De fait, la structure de ce public varie selon qu’on y trouve des dessins animés des comédies ou des films d’action. La Guerre des étoiles est entrée immédiatement dans l'histoire du cinéma, générant une communauté de fans qui fétichisent les objets du film. La saga a su dès sa sortie s'appuyer sur une affiche iconique, aux multiples influences, mais bien peu fidèle au film. Une histoire à rebondissements. Le merchandising n'est pas né avec Star wars malgré la légende. C'est Disney qui popularisa le concept des produits dérivés dans les années 30 autour du personnage de Mickey. Le cinéma live s'y mis bien plus tard : la série de films La planète des singes généra son lot de figurines aux Etats-Unis à la fin des années 60. En France, quelques années avant, on trouvait déjà des albums Thierry La fronde. Mais Star wars est bien le champion d'une activité marketing qu'il popularisera dès 1977 : les recettes des produits dérivés dépasseraient 25 Md$, soit nettement plus que celles des films eux-même. Cinéma oblige, ce sont les affiches du film qui ont été les grandes bénéficiaires de ce mouvement fétichiste. Ils sont nombreux les cinéphiles, ou pas, qui ont accroché un poster de Luke Skywalker. Et il y en a eu beaucoup, rien que pour le premier film. Le plus célèbre d'entre eux est l'affiche originale de la sortie de 1977 par l'affichiste Tom Jung, 35 ans à l'époque. Sa référence : Star wars "Style A". George Lucas choisit Tom Jung car il avait été marqué par l'affiche qu'il avait faite pour la ressortie en 1967 de Autant en emporte le vent (avec Howard Terpning). Rare exemple du poster d'une reprise qui a complètement effacé l'affiche d'origine. La pose romantique du couple Gable/Leigh fut d'ailleurs réutilisée en 1980 par Roger Castel pour l'affiche originale de L'Empire contre-attaque avec le masque noir de Vador à la place des flammes d'Atlanta. Jung était déjà un artiste établi puisque il était l'auteur des affiches originales de The Omen, L'homme qui voulut être roi, L'homme au pistolet d'or (James Bond), Papillon, Grand Prix et Docteur Jivago (ses œuvres ici).
Les spectateurs ont l'habitude de voir les acteurs vieillir avec eux, de rôle en rôle, de film en film, créant une certaine proximité. Le décès de carrie Fisher s'impose en exception car ce n'est pas vraiment une actrice que le public a vu disparaitre récemment, mais un personnage. L'année 2016 laisse un goût amère pour les cinéphiles. De nombreuses stars sont décédés tout au long de l'année. Parmi les réalisateurs, on a annoncé le décès d'Ettore Scola, François Dupeyron, Michael Cimino, Abbas Kiarostami, Garry Marshall, Pierre Terchnia, Jacques Rouffio, Andrzej Wajda. Et côté acteurs, Michel Galabru, Alan Rickman, Bud Spencer, Ronit Elkabetz, Gene Wilder, Michèle Morgan et Claude Gensac nous ont quitté. Mais la mort qui a le plus frappé les esprits est sans nul doute celle de l'actrice Carrie Fisher. Une semaine après sa disparition, l'article d'Allociné annonçant son décès avait été partagé 3.726 fois, soit plus de 10 fois plus que celui à propos de la disparition de Michèle Morgan une semaine plus tôt. Pourtant Carrie Fisher n'est pas une actrice reconnue. Elle n'a gagné aucun prix, et n'a même pas été nominé pour une récompense de premier plan. Certes, elle a joué dans la saga Star wars, mais au-delà de la franchise de George Lucas, il est bien difficile de citer un seul de ses films. Bien peu se souviennent d'elle dans un second rôle de Quand Harry rencontre Sally et son rôle de scénariste ou script doctor appartient aux coulisses d'Hollywood.
Au moment où l'épisode 7 sort en blu-ray, la première trilogie de La guerre des étoiles est à nouveau annoncée dans les salles américaines pour août prochain. Les fans cinéphiles se réjouissent de retrouver "leur" film... ou pas. L'annonce anime la grande communauté des fans de l'univers de La guerre des étoiles. L'opportunité est offerte d'apprécier les trois films de 1977, 1980 et 1983 sur grand écran. En tout cas, pour les américains qui auront droit à une exploitation dans 20 grandes villes (San Francisco, Washington, Los Angeles, New-York, Miami, Dallas, Austin, Boston et Philadelphie sont déjà annoncées si vous préparez vos vacances). Ce n'est pas une reprise d'envergure et pour le moment ce n'est prévu que pour les Etats-Unis du 6 au 27 août. Déjà les fans discutent de la version qui sera projetée : montage original, édition spéciale (1997) ou celle revue depuis pour le DVD (2004) ? Car il existe de nombreuses versions. Bien sûr beaucoup connaissent l'histoire de ces "corrections" qui ont permis à George Lucas de revoir ses films pour les compléter comme il les rêvait (plus de monstres, rajout de Jabba the Hunt, révision des couleurs...). On sait moins que les films ont continué à être modifiés en 2011 au moment de la sortie du Blu-ray (rocher devant R2D2, couleur du sabre laser...). Ou que certains pays avaient déjà fait des ajustements dès la sortie (en Allemagne sur la scène de torture de l'épisode 2 pour l'autoriser aux plus de six ans) et que la version Laserdisc du début des années 90 a aussi subi quelques modifications (raccourcissements non assumées car il y a eu repressage avec rajout des 7 secondes retirées peu après). Dès 1981, il y avait eu un changement d’envergure : d'épisode initial, La guerre des étoiles devenait Un nouvel espoir, (a new hope en vo) proposant aux futures générations d'être vu en quatrième. C'est capital puisque le coup de théâtre familial de la fin de L'Empire contre-attaque perd de sa substance lorsque le spectateur voit d'abord les films de la deuxième trilogie.
Les premiers résultats viennent de tomber pour l'Episode 7 de Star wars : un premier jour record aux Etats-Unis avec 120 M$ et un "seulement" douzième premier mercredi en France avec 619.000 spectateurs en un jour. Comment faut-il comprendre ces chiffres ? Le dernier épisode de la saga Star wars est sorti il y a quelques heures que déjà, l´après-midi même, les observateurs scrutaient le score de la première séance. En France, on a parlé de déception et on annonce un triomphe chez les américains.
[mise à jour : avec finalement plus de 10 millions de spectateurs au final en France, le mot déception est bien relatif et montre que le succès du film est aussi lié à un accueil favorable du grand public, et pas seulement à l'attirance des fans de la saga] Le film est sorti en première mondiale mercredi, un jour avant les États-unis. Une exclusivité étonnante quand on sait à quel point le film jouit d´une aura particulière pour le public américain par rapport au public français. Chez les américains, il est certain que Le réveil de la force a frappé en fort en dépassant de 30% de le précédent record porté par le dernier épisode des aventures d'Harry Potter (91 M$). Le film de J.J. Abrams, qui reprend le flambeau laissé par George Lucas depuis la revente à Disney de tous les droits de sa franchise, écrase même le record pour un mois de décembre en rapportant plus que le weekend-end record de Le hobbit qui en trois jours avait fait 84 M$. C'est dire l'exploit du jour (l'analyse par boxofficemojo ici). Certains pourraient chercher à mesurer par rapport au symbole de la saga dans la culture américaine. Mais, là encore la seconde trilogie donne un axe de comparaison qui permet de mesurer la performance de ce 120 M€ en un seul jour (on imagine 250 M$ sur le weekend). Certaines scènes se sont imposées dans la culture populaire. Avec la rubrique Making of, il s'agit de revenir sur ces moments de cinéma, factices par définition, mais qui se sont imposés dans la mémoire des spectateurs. Pour commencer, l'une des scènes les plus connues du cinéma, qui fait écho à la sortie de l'épisode VII de Star Wars. Il s'agit de la révélation de la filiation de Luke Skywalker. Si la notion de twist pouvait être réduit à une réplique, il n'y a pas de doute que "Luke, je suis ton père" l'emporterait. A l'époque, les réseaux sociaux n'existaient pas et un secret pouvait le demeurer mieux qu'aujourd'hui. La surprise a donc été réelle pour le spectateur de 1980 qui voyait l'Empire contre-attaque. La réplique est moins iconique que le fameux "Que la force soit avec toi" mais elle s'impose devant "je t'aime / Je sais" que s'échangent la princesse Leïa et Han Solo ainsi qu'une centaine d'autres qui ont marqué les fans les plus fidèles (à retrouver ici). Mais la particularité de "Luke je suis ton père" est que cette réplique est passée dans la vie réelle, tel un gimmick qui traduit à la fois le détachement. Elle est reprise dans Austin Powers 2 (1999), Toy Story 2 (1999), Le Règne du feu (2002), Mais qui a tué Pamela Rose ? (2003), Jarhead (2005), Arthur 3 : La Guerre des deux mondes (2010), Megamind (2010), Cowboys et Envahisseurs (2011), Low Cost (2011) ou encore Astérix et Obélix : Au service de Sa Majesté (2012). On voit que les citations cinéphiles sont de plus en plus fréquentes. Cette popularité se confirme dans l'univers des spectateurs par les recherches dans Google.
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Docteur en Sciences de l'information et de la communication, Laurent Darmon est devenu par cinéphilie un spécialiste de la réception cinématographique et de la sociologie du cinéma.
Il est l'auteur d'une thèse sur "l'itinéraire de l'évaluation d'un film par le spectateur au cinéma", anime des conférences et a été le Président de la Commission Cinécole 2016. Parallèlement, il est en charge du digital et de l'innovation dans une grande banque française.
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