Sergio Leone et Ennio Morricone ont insufflé un second souffle au western en 1964, mais le succès du film Pour une poignée de dollars a généré plus de 400 films en 10 ans qui auront fini par décrébiliser le genre auprès du grand public. Un film qui commence par les retrouvailles involontaires de deux auteurs encore inspirés par le recyclage avant de trouver là les bases de leur art.
Quand on associe Ennio Morricone à un réalisateur italien, un nom revient logiquement : Sergio Leone. Pourtant, ils n'auront fait que six films ensemble sur des réalisations du maître du western italien [1] alors que le compositeur romain aura contribué à 12 films de Giuliano Montaldo et même 15 de Mauro Bolognini. Mais Sergio Leone aura été à l'origine de la renommée d'Ennio Morricone quand Ennio Morricone aura contribué à révéler Sergio Leone dans l'histoire du cinéma. La rencontre cinématographique a eu lieu en 1964 avec Pour une poignée de dollars, le premier film de la trilogie de l'homme sans nom avec Clint Eastwood.
Avant 1964, Ennio Morrincone n'avait que trois ans dans l'industrie cinématographique avec un dizaine de films italiens aujourd'hui oubliés, dont quatre de Luciano Salce qui fut le premier à faire appel à lui. Après, il s'imposera comme l'un des principaux compositeurs du siècle (malgré trois Razzies du pire compositeur de musique de film pour un seul Oscar). Il joue déjà avec des orchestrations travaillées et à intégrer des bruitages ou instruments originaux à ses compositions. Sergio Leone s'est lui fait une réputation dans le milieu comme assistant-réalisateur (dont la course de chars de Ben-Hur), mais il reste inconnu du public malgré le succès du Colosse de Rhodes archétype du péplum avec tous les défauts du film de genre de l'époque. Les deux auteurs sont tellement peu connus qu'ils vont signer leur première rencontre sur l'écran sous pseudonyme. Au générique, Sergio Leone devient Bob Robertson et Ennio Morricone se nomme Dan Savio [2]. Une pratique habituelle des producteurs italiens pour cacher l'origine transalpine du film.
Il n'existe pas qu'une histoire du cinéma, mais bien plusieurs. La mondialisation entraîne non pas une globalisation mais une sélection d'une sorte de chaîne qui lierait des films entre eux. Une lecture historique qui privilégie une certaine vision du 7ème art, loin des "blockbusters sans âme" mais aussi des films "expérimentaux sans lendemain". Avec sa formule tirée des Frères ennemis, le sinistre Brasillach relevait que la mémoire collective se fonde sur le récit proposé par ceux qui sont au pouvoir : "l'histoire est écrite par les vainqueurs". L'histoire du cinéma ne semble pas échapper à cet aphorisme : elle est trop riche pour se résumer à ce qu'on trouve dans les encyclopédies du cinéma et autres ouvrages du type les "1001 films à voir avant de mourir". C'est une certaine idée du cinéma qui est extraite des 500.000 films produits dans le monde [1]. Et ça commence dès ses origines. Dire que les Frères Lumières ont créé le cinéma, c'est renvoyer à l'oubli les inventions des frères Skadanowsky et d'Emile Reynaud. Aux Etats-Unis, on cite même plus volontairement Thomas Edison et William Dickson pour leur Kinétographe datant de 1893. Mais comme la victoire vient avec la diffusion de masse, les frères Lumière ont un avantage pour marquer de leur nom le divertissement que nous connaissons car leur invention intégrait une projection collective. Les vainqueurs sont d'abord définis sociologiquement. L'histoire officielle du cinéma est d'abord écrite par ceux qui sont en âge de l'écrire. Il y a donc souvent un écart entre ce qui sort sur les écrans et ce qui devient un classique.
Le Voyeur a dû attendre le passage d'une génération pour que celle-ci puisse prendre la parole et reconnaître l'avant-gardisme du film de Michael Powell. Souvent d'ailleurs par opposition avec un cinéma de genre qui commençait à émerger à la fin des les années 70 et pour mieux montrer ce que devaient ces "nouveaux" films à son précurseur. Il a fallu donc attendre réellement que certains de ces adolescents soient des adultes écoutés pour que leur avis compte : parmi eux, Martin Scorsese et Brian De Palma en furent d'ardents défenseurs. Un cinéaste comme De palma bénéficia également de l'effet du temps, puisqu'on l'assimila à un copieur talentueux hitchcockien à ses débuts avant que les critiques de cinéma ne furent composés de son premier public et qu'il devienne à son tour une icone (le Centre Pompidou lui a consacré un hommage en 2002). Il en est de même de la plupart des faiseurs et cinéastes de genre des années 80 comme Joe Dante, Robert Zemeckis, David Cronenberg ou James Cameron. Ils furent tous considérés comme des réalisateurs de série B avant qu'avec le temps, ils soient largement réévalués, y compris pour leurs premiers films. Bien peu de films vus majoritairement par un public adolescent n'ont le droit à la reconnaissance des institutions. Du moins à leur sortie. |
Docteur en Sciences de l'information et de la communication, Laurent Darmon est devenu par cinéphilie un spécialiste de la réception cinématographique et de la sociologie du cinéma.
Il est l'auteur d'une thèse sur "l'itinéraire de l'évaluation d'un film par le spectateur au cinéma", anime des conférences et a été le Président de la Commission Cinécole 2016. Parallèlement, il est en charge du digital et de l'innovation dans une grande banque française.
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