1995 - Le cinéma a cent ans. La plupart des êtres humains n'atteignent pas cet âge. Il est déjà remarquable que le cinema fête son centenaire. Je pense, sans l'espérer, que l'on va aussi fêter sa disparition, progressive mais rapide, en tant que mode d'expression artistique. Cent ans, c'est vieux. Le cinéma a bien vécu. Pratiquement, tout a été inventé. Il parait difficile, compte tenu des impératifs techniques, du coût et du niveau nécessaire de compétence, d'aller plus loin. L'industrialisation du cinéma, la mondialisation de sa diffusion, bref, son succès, conduisent à une uniformisation du contenu, fortement préjudiciable à la minorité de ceux qui créent. Les créateurs ne sont plus les bienvenus. Un film comme A bout de souffle - considéré du point de vue de la rupture qu'il représente - n'a plus aucune chance de voir le jour. Le mouvement intellectuel qui a donné envie à certains de faire un autre cinéma n'existe plus. En admettant qu'il existe, le producteur ne trouverait plus les moyens de financer un film ne correspondant d'aucune façon aux normes des diffuseurs. | Dans l'histoire de l'humanité, d'autres formes de création se sont éteintes. Faut-il le regretter ? Sans doute. Peut-on inventer autre chose ? Peut-être. Les artistes continueront à créer, mais probablement pas à travers le cinéma. Je n'entrevois aucun contre-pouvoir, notamment au niveau de la politique culturelle de l'Etat français, susceptible à long terme de susciter chez les artistes l'envie de s'exprimer de façon originale par le cinéma. Dans ces conditions, il vaut mieux qu'il disparaisse plutôt que de n'être qu'un système de propagande pour la barbarie et la violence. |
Il y a un peu plus de 20 ans, Marin Karmitz sortait un livre chez Grasset où il abordait l'avenir du cinéma. Un regard sans concession qu'il est intéressant de relire pour voir si, comme le producteur, on a le sentiment de la "fin de l'histoire" en regardant ce qu'est devenu le 7ème art [1] Si sur la vingtaine de films en compétition officielle de Cannes, il y a normalement une Palme et donc vingt "perdants", cette année, un film est sorti du lot : Toni Erdmann, LE film qui n'a pas eu la Palme d'Or. Rarement un film n'a été aussi souvent décrit pas cette particularité qui concerne tous les films de l'année, sauf un. Si vous êtes un peu cinéphile, vous savez ce que sont 4 mois, 3 semaines, 2 jours et Oncle Boonmee. Ces sont deux gagnants de la Palme d'Or, respectivement en 2007 et 2010. Mais connaissez-vous Toni Erdmann ? Bien sûr, c'est le film qui est revenu bredouille à Cannes cette année. Son slogan sur l'affiche n'est-il pas : "la Palme du public et des critiques". C'était le favori des bookmakers nous dit-on partout :
Tester la satisfaction du public avant de sortir un film est une pratique courante aux Etats-Unis depuis longtemps. Elle existe aussi en France depuis plusieurs années, mais elle tend à se généraliser grâce à des tests plus simples et plus efficaces à mettre en place. On ne peut que louer ces initiatives pour faire se rencontrer films et spectateurs. Les films sont des prototypes dont l'effet sur le public est bien difficile à anticiper. Lorsque le film est proposé au public, il n'appartient plus à son auteur : les spectateurs engagent leur propre lecture du film selon ce qu'ils sont et ce qu'ils voient. Lors de la projection, un complexe jeu de test d'hypothèses, d'interprétation et d'assimilation se met en jeu pour aboutir à une perception à la fois émotionnelle et rationnelle de l'oeuvre cinématographique. Il existe des "trucs" pour plaire au public. Des techniques de construction d'un scénario popularisées par John Truby et Robert McKee en passant par le test d'intelligence de contenu de The fiction lab, il y a quelques recommandations souvent de bon aloi qui permettent de construire ou d'améliorer des films en termes de satisfaction du public. Mais finalement, le vrai test holistique est tout simplement de demander son avis au public comme on le fait de plus en plus dans tous les domaines (il suffit de voir le succès des méthodes agile en gestion de l'innovation digitale). Au cinéma, c'est ce qu'on appelle un preview (test screening). C'est grâce à ces projection-tests qu'on peut identifier des scènes qui fonctionnent moins bien, des baisses de rythme malvenues, des personnages manquant de consistance ou choisir entre deux fins. Justement, c'est suite à un preview réalisé juste avant la sortie que les producteurs et le réalisateur de La mort dans la peau ont pu valider une seconde fin tournée dans l'urgence pour valider qu'elle améliorait la perception du film de 10 points. En France, les tests sont surtout sollicités pour préparer une sortie par le distributeur du film, plus que par le producteur et le réalisateur qui en font la livraison. Il existe donc des instituts d'étude spécialisés qui proposent des tests à un panel de spectateurs en fonction de la cible choisie : Cinext, Médiamétrie et L'observatoire de la satisfaction. Ce dernier est l'un de mes favoris pour son expérience et sa capacité à comparer les résultats de ses tests avec ceux de sa base de données historique. Et en plus, il fait un travail depuis des années pour sensibiliser les professionnels à la mesure de satisfaction et, depuis cette année, au grand public avec la diffusion de sa Newsletter via Facebook (et Twitter). Il s'appuie pour ça sur ses outils Cinépanel (test en amont de la sortie en salles du film ou des éléments de promotion) et L'Echo du public (mesure en aval). Il s'agit d'un outil pour les distributeurs, plus que pour les auteurs puisque les études cherchent surtout à trouver le bon public, celui qui va aimer le film. Peu importe : faire le bon film pour plaire au public ou chercher le bon public pour un film donné relève de la même démarche de rapprocher film et spectateur pour une rencontre réussie. Et il n'y a rien de plus sain pour des auteurs que de s'intéresser à leur public.
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Docteur en Sciences de l'information et de la communication, Laurent Darmon est devenu par cinéphilie un spécialiste de la réception cinématographique et de la sociologie du cinéma.
Il est l'auteur d'une thèse sur "l'itinéraire de l'évaluation d'un film par le spectateur au cinéma", anime des conférences et a été le Président de la Commission Cinécole 2016. Parallèlement, il est en charge du digital et de l'innovation dans une grande banque française.
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