A Hollywood, la star du mois va fêter ses 85 ans le 31 mai prochain. Dans un monde qui va de plus en plus vite et dans un pays où le cinéma commercial cède souvent au jeunisme, Clint Eastwood a marqué le box-office américain de janvier 2015 par un succès sans précédent. | Dans le cas du triomphe d’American sniper, il y a eu sans doute une attente filmique élevée amplifiée par un désir plus grand que pour les films précédents de son réalisateur. En effet, le film satisfait à la fois aux besoins de distraction, de connaissance et de distinction qui sont à la base de la motivation à aller voir un film. Clint Eastwood a été capable de susciter les trois motivations de base pour pousser l’individu à aller en salles : plaisir, curiosité et sociabilité. |
American sniper a connu une sortie triomphale dans le salles américaines, à un niveau rarement atteint par un film qui ne s'appuie ni sur une marque forte, ni sur un film précédent. Les succès précédents du réalisateur n'expliquent que partiellement ce succès immédiat. Le contexte de la projection comme le choix de la salle joue un rôle important dans la façon dont le spectateur perçoit le film qu'il regarde. Une expérience dans le métro illustre parfaitement ce phénomène. Les conditions de la projection influencent significativement la perception d'un film. La taille de l’écran et de la salle sont, avec la qualité de la projection, les éléments plébiscités par plus de 94% des spectateurs, devançant l’accueil, le nombre de films proposés ou les conditions d’attente [1]. La projection en 3D exalte également l’aspect événementiel du cinéma. Assez naturellement, les conditions de projection influent directement sur la capacité d’immersion du film. Ainsi le contexte de diffusion impacte-t-il directement la satisfaction car il constitue l’une des composantes de l’expérience cinématographique. Mais, plus symptomatique, il influence également directement la perception du film, autre composante essentielle de cette expérience. L’expérience du Washington Post le 12 janvier 2007 avec Joshua Bell dans un métro américain à l’heure de pointe montre l’importance du canal de diffusion du film. Le violoniste, de réputation mondiale, joue pendant 45 minutes son stradivarius icognito dans la quasi-indifférence de centaines de passants. Sept personnes se sont arrétées sur 1032 qui sont passées devant lui. La dernière d'entre elles est restée plus longtemps et s'en explique à la fin de la vidéo : elle l'a reconnu pour l'avoir vu jouer justement quelques jours plus tôt.
Cette expérience démontrait le poids de la mise en scène et de la mise en situation pour légitimer et reconnaître la valeur de l’art. Un tel phénomène est illustré au cinéma par la foule qui se presse à la projection officielle cannoise de quelques films étrangers qui sortiront quelques semaines plus tard dans l’indifférence quasi-générale, y compris de l’intelligentsia. [1] - CNC, dossier n°331, La géographie du cinéma, septembre 2014 es suites ont existé pratiquement dès la création du cinéma. Leur place a néanmoins changé depuis 30 ans avec l'évolution du secteur de l'industrie cinématographique dans son ensemble. La dynamique qui a présidé à ce changement mérite d'être rappelée. Les suites au cinéma ne sont pas une nouveauté. Au contraire, à l’époque du cinéma muet, les héros récurrents, dont Charlot est sans doute l’exemple le plus connu, sont courants. Comme aujourd’hui, les genres de la comédie (Bébé), du fantastique (les vampires), du policier (Fantomas) et des films d’aventure (Tarzan) développent des series de films, appelées parfois feuilleatons, qui incitent le spectateur à revenir. Même des auteurs comme Fritz Lang (Docteur Mabuse) réalisent des suites. Ce qui est peut-être nouveau à propos des suites, c’est que les producteurs leur prêtent davantage d'ambition, affectant des budgets plus conséquents qui contribuent à les positionner différemment. Dans les années 70, il est admis que les suites fonctionnaient moins bien que le film original. Superman 2 ou le retour du Grand blond ont fait moins au box-office que leur prédécesseur sans surprise. Parfois la suite d’un très gros succès est rapidement oubliée : qui se souvient Oliver's story la suite de love story ou more american graffiti qui a succédé à American graffiti ? |
Docteur en Sciences de l'information et de la communication, Laurent Darmon est devenu par cinéphilie un spécialiste de la réception cinématographique et de la sociologie du cinéma.
Il est l'auteur d'une thèse sur "l'itinéraire de l'évaluation d'un film par le spectateur au cinéma", anime des conférences et a été le Président de la Commission Cinécole 2016. Parallèlement, il est en charge du digital et de l'innovation dans une grande banque française.
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