Les miroirs sont souvent là pour éclairer la personnalité des personnages, exacerbant les stéréotypes sexistes qui ont la vie dure au cinéma. Illustration en image à travers une compilation de films mettant leur héros devant ses contradictions.
Si le cinéma est plus fort que la vie, il tente souvent d'amplifier des tendances observées par les cinéastes. C'est pourquoi il existe une sociologie du cinéma qui permet d'éclairer les faits de société sousjacents. C'est ainsi que Siegfried Kracauer illustra les tourments de l'âme germanique en observant les films de l’expressionnisme allemand dans son livre De Calligari à Hitler.
Pour qui le cinéma est un art édifiant, il est donc intéressant d'examiner les stéréotypes portés par le cinéma d'aujourd'hui. Les films ont souvent joué avec le reflet dans les miroirs (on en dénombre 190 ici). Le miroir a depuis longtemps été objet de fascination, permettant à Alice d'aller au Pays des merveilles. C'est devant son miroir que le Travis de Taxi driver montre sa folie qui le démange ("You talkin’ to me?").
Les femmes pleurent et les hommes se mettent en colère lorsqu'ils sont confrontés à eux-mêmes devant une glace. Les unes sont vulnérables et émotives quand les autres sont colériques et puissants. Voilà ce que l'on peut tirer comme conclusion sexiste en regardant des films. C'est du moins la lecture évidente de cette compilation de Joost Broeren, un monteur néerlandais, qui en tire une amusante infographie.
Le distributeur français a tout fait pour associer Lion à Slumdog millionaire, une référence qui écrase le film et son histoire "incroyable". Une facilité propre au marché français pour indexer le film dans un genre bien spécifique : le film "indien" à potentiel émotionnel pour le public occidental. Lion est un film qui plait beaucoup. En témoignent ses 6 nominations (non concrétisées) aux Oscars, son bon bouche-à-oreille au cinéma (-20% seulement en deuxième semaine en France) et ses bonnes notes attribuées un peu partout par le public : un rating de 9,4 sur 10 exceptionnel relevé par l'Observatoire de la satisfaction, une excellente note de 8,1 sur IMDb, un score élevé de 4,6 sur 5 par les internautes d'Allociné. Ce sont des évaluations extrêmement rares, atteintes par seulement une petite poignée de film par an. Mais ce n'est pas une oeuvre facile à vendre pour autant. Le distributeur a choisi de garder le titre original, court et énigmatique (on ne le comprend qu'à la toute fin). Australien, le film se passe en Inde pendant sa première moitié sans aucune star pour le porter avant l'apparition de Nicole Kidman après une heure de film. Les producteurs australiens ont d'ailleurs eu quelques difficultés à trouver un partenaire américain car les premiers approchés voulaient transférer l'intrigue d'Australie aux Etats-Unis. Or c'est l'adaptation d'une histoire vraie d'un garçon de cinq ans adopté en terre australe. Par respect pour la véracité de l'intrigue, ils ont refusé, rendant leur film moins "universel" pour le marché occidental. On peut le regretter, mais c'est une réalité économique difficile à contourner. La présence de Nicole Kidman, Rooney Mara et Dav Patel n'est pas anodine, mais pas suffisante pour porter le film, les deux premières ne jouant que des seconds rôles et Dav Patel n'ayant pas un pouvoir d'attraction réel au box-office.
Parmi les vedettes du cinéma français, Jean Dujardin a un forte côte d'amour auprès des spectateurs. Il a su transférer sa notoriété de la télévision au cinéma, en élargissant même ses rôles au-delà de la franche comédie. Pourtant, Un homme à la hauteur n'a pas atteint le score attendu malgré un casting, un sujet et une réalisation qui contenaient apparemment tout ce qu'il faut pour faire un succès. Jean Dujardin est un acteur populaire dans le plus beau sens du terme. Il fait un cinéma que les spectateurs aiment voir : des comédies burlesques, des comédies, des comédies romantiques, des comédies policières et mêmes des thrillers purs et durs. A chaque fois le public suit. Il a titillé le sommet avec Brice de Nice qui l'a imposé au cinéma à partir d'un personnage créé pour la télévision (avec les Nous ç nous) et depuis, il n'a jamais déçu permettant à des films pas si simples (Le bruit des glaçons, Un balcon sur la mer, Möbius) de rencontrer des succès tout à fait convenables. Et tout semblait bien parti pour Un homme à la hauteur. L'acteur avait enchaîné 5 films à plus de un million de spectateurs avant d'approcher ce seuil avec Un + une, le dernier Claude Lelouch qui n'avait pourtant plus atteint ce score depuis vingt ans. Sa partenaire, Virginie Efira, avait montré sa capacité à porter un film avec 20 ans d'écart (1.400.000 spectateurs). Quant au réalisateur, Laurent Tirard, c'est devenu une valeur sûre du cinéma français, capable de transposer avec talent l'univers de René Gosciny dans le très réussi Le petit Nicolas ou de ramener les français voir Molière au cinéma (1.200.000 spectateurs). Reste enfin, le film lui-même. C'est une comédie romantique grand public à concept. Un bon point pour attirer les foules dans un genre qui n'a rien à envier à L'arnacœur (3,8 Millions) ou Hors de Prix (2,1 M). Et pour couronner le tout, le film est réussi : les dialogues sont sympathiques, les acteurs font le job, la mise en scène apporte du rythme et les situations leur part d'originalité convenablement balisée. Le concept avait été testé avec succès puisque c'est le remake - à l'intrigue similaire à l'original argentin d'ailleurs - du film Corazon de Leon qui avait très bien marché en Argentine. Rien à dire et le public s'est dit globalement satisfait : 3,4 (sur 5) sur Allociné, la troisième meilleure performance des films avec Jean Dujardin en rôle principal. Et pourtant.
Surprendre le spectateur en lui assurant de trouver ce qu'il vient chercher. Voila le Graal de tout producteur qui se lance dans un film pour lequel le public a des attentes fortes. Et comme le public est hétérogène, il n'y a rien d'évident pour résoudre cette apparente contradiction de la production cinématographique. Illustrations de solution avec trois exemples.
Lorsqu'on se lance dans la production d'une adaptation du Petit prince, il y a une évidence : ne pas décevoir les fans du roman de Saint-Saint-Exupéry d'autant que le livre comprend des aquarelles de l'auteur présentes dès l'édition originale de 1943 et qui ont forgé l'imaginaire des lecteurs. Avec plus de 45 millions de livres vendus dont un quart en France, c'est le plus gros succès de l'édition après la Bible ! Il en découle des devoirs de respect de l'oeuvre originale. Mais de nombreux spectateurs ne voient pas l'intérêt non plus d'aller voir une histoire qu'ils connaissent et qui justement a déjà été imagée dans leur imagination grâce à ces aquarelles. Il faut donc apporter du neuf sans trahir la matière d'origine désormais sacralisée.
C'est l'approche que le réalisateur du dessin animé sorti en 2015, Mark Osborne, a défendu pour raconter une histoire qui se dédouble : "Quand on m’a proposé ce projet la première fois, j’ai refusé car il me semblait impossible d’adapter un livre aussi iconique. Il y a autant d’interprétations que de lecteurs, ce qui complique la tâche. Et puis, j’ai réfléchi : il ne fallait pas faire une adaptation classique mais raconter justement le sentiment que l’on peut avoir à la lecture. C’est comme ça qu’est née l’histoire de la petite fille qui se dessine en parallèle de celle du Petit Prince : totalement nouvelle, elle m’offre l’espace de liberté qui me permet de garder intact le roman et de protéger les émotions qu’il véhicule. Tous les artisans qui ont travaillé sur ce film ont d’ailleurs suivi au pied de la lettre les mots de l’aviateur dans le livre : "Je ne veux pas que mon histoire soit prise à la légère."
La solution technique retenue est astucieuse. Composer le film avec une partie imaginaire en stop motion en respectant la texture du papier et un monde réel en numérique 3D conforme à la norme Pixar.
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Docteur en Sciences de l'information et de la communication, Laurent Darmon est devenu par cinéphilie un spécialiste de la réception cinématographique et de la sociologie du cinéma.
Il est l'auteur d'une thèse sur "l'itinéraire de l'évaluation d'un film par le spectateur au cinéma", anime des conférences et a été le Président de la Commission Cinécole 2016. Parallèlement, il est en charge du digital et de l'innovation dans une grande banque française.
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