Parmi les vedettes du cinéma français, Jean Dujardin a un forte côte d'amour auprès des spectateurs. Il a su transférer sa notoriété de la télévision au cinéma, en élargissant même ses rôles au-delà de la franche comédie. Pourtant, Un homme à la hauteur n'a pas atteint le score attendu malgré un casting, un sujet et une réalisation qui contenaient apparemment tout ce qu'il faut pour faire un succès. Jean Dujardin est un acteur populaire dans le plus beau sens du terme. Il fait un cinéma que les spectateurs aiment voir : des comédies burlesques, des comédies, des comédies romantiques, des comédies policières et mêmes des thrillers purs et durs. A chaque fois le public suit. Il a titillé le sommet avec Brice de Nice qui l'a imposé au cinéma à partir d'un personnage créé pour la télévision (avec les Nous ç nous) et depuis, il n'a jamais déçu permettant à des films pas si simples (Le bruit des glaçons, Un balcon sur la mer, Möbius) de rencontrer des succès tout à fait convenables. Et tout semblait bien parti pour Un homme à la hauteur. L'acteur avait enchaîné 5 films à plus de un million de spectateurs avant d'approcher ce seuil avec Un + une, le dernier Claude Lelouch qui n'avait pourtant plus atteint ce score depuis vingt ans. Sa partenaire, Virginie Efira, avait montré sa capacité à porter un film avec 20 ans d'écart (1.400.000 spectateurs). Quant au réalisateur, Laurent Tirard, c'est devenu une valeur sûre du cinéma français, capable de transposer avec talent l'univers de René Gosciny dans le très réussi Le petit Nicolas ou de ramener les français voir Molière au cinéma (1.200.000 spectateurs). Reste enfin, le film lui-même. C'est une comédie romantique grand public à concept. Un bon point pour attirer les foules dans un genre qui n'a rien à envier à L'arnacœur (3,8 Millions) ou Hors de Prix (2,1 M). Et pour couronner le tout, le film est réussi : les dialogues sont sympathiques, les acteurs font le job, la mise en scène apporte du rythme et les situations leur part d'originalité convenablement balisée. Le concept avait été testé avec succès puisque c'est le remake - à l'intrigue similaire à l'original argentin d'ailleurs - du film Corazon de Leon qui avait très bien marché en Argentine. Rien à dire et le public s'est dit globalement satisfait : 3,4 (sur 5) sur Allociné, la troisième meilleure performance des films avec Jean Dujardin en rôle principal. Et pourtant.
Il est temps de faire le bilan du premier semestre 2016 : il se solde par une progression enviable de la fréquentation de 5,4%. Il traduit le dynamisme d'un loisir qui résiste à tout, y compris à ceux qui annonçaient la disparition des films du milieu. Il faut juste que les films du milieu soient également événementiels à leur façon. Même en léger retrait, la fréquentation 2015 était très satisfaisante car on navigue toujours à un niveau record par rapport à la fréquentation moyenne des cinquante dernières années. Avec 206 millions de spectateurs en 2015 en France, on est à un niveau nettement plus haut que les autres pays européens comparables :
L'évolution de la fréquentation de 5,4% sur les six premiers mois de 2016 intervient donc dans un environnement favorable au cinéma. Et la perspective de battre le record de 2011 (217 millions d'entrées) n'est pas inaccessible quand on est déjà à 107 millions à mi-parcours. Étrangement serait-on en droit de se dire à première vue car la télévision souffre de la concurrence d'internet et des loisirs digitaux, le jeux-vidéos et les échanges sociaux en tête. Le cinéma fait plus que résister, puisqu'il bat des records malgré un contexte pas si facile : entre les risque d'attentats, les grèves et l'Euro de foot, il y avait matière pour justifier une désaffection de la sortie en salles. Surtout que le recul du programme film à la télévision et en vidéo montrent que le produit cinéma "payant" a perdu de son attrait. Le piratage et la multiplication de l'offre avaient tout pour faire perdre au film de son attrait spécifique.
206 millions de spectateurs dans les salles françaises en 2015, soit une légère baisse de 1,4% sur 2014 mais tout de même au dessus de la moyenne-record des 10 dernières années (200 millions) selon les derniers chiffres du CNC. La part de marché des films français retombe à 35% après un pic à 44% l'an dernier. C'est quand même très honorable par rapport aux autres pays européens (27% pour l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne et seulement 15% en Angleterre).
En tout, 650 films sont sortis en 2015 en France. C'est évidemment beaucoup pour offrir à chacun sa chance de trouver son public. Mais comme l'avouent les observateurs avertis, c'est le prix à payer pour obtenir des films qui trouvent leur public ou qui apportent au cinéma. Car au fond, personne ne sait trop avant que le film ne soit projeté ce qu'il donnera. Il y a donc dans cette industrie du prototype (le sociologue parle de singularité), une volonté de produire beaucoup pour statistiquement proposer la pépite commerciale ou artistique qui fera la joie de son producteur ou des cinéphiles. Si on joue au jeu d'identifier les films gagnants pour cette année, on ne peut qu'être surpris d'y trouver en tête le dernier Mad Max Fury road. Cette suite avec Tom Hardy réalisée par un réalisateur australien de 70 ans ressemble à un remake de l'épisode 2 sorti en 1982, mais sa mise en scène nerveuse relève d'une grande modernité malgré le refus du tout numérique. Ce quatrième opus de Max le fou est en tête de nombreux tops de la presse et obtient une note moyenne de la presse française de 4,42 sur 5. Le film est nominé pour les Golden Globes (remis par la presse étrangères à Hollywood) et a reçu le titre de "Movie of the year" 2015 par l'AFI. Les cinéphiles l'ont aussi beaucoup apprécié puisqu'il se classe au 152ème rang d'IMDb avec une moyenne de 8,2 sur 10. Mais une partie du public a boudé, d'où une note à la sortie des salle un peu moins bonne (B+ au baromètre américain Cinemascore). Au global, le succès commercial est bien là, les recettes monde ayant atteint 375 M$ dont 152 M$ aux seuls Etats-unis. Pas un triomphe finalement, mais la perspective de voir une suite a été confirmée : The wasteland est annoncé pour 2017. La saga mesure l'évolution culturelle en 40 ans puisque le premier Mad max était un rejeton de la contre-culture des années 70 alors que le dernier opus réussit à symboliser le cinéma dominant d'aujourd'hui à son apogée. Les premiers résultats viennent de tomber pour l'Episode 7 de Star wars : un premier jour record aux Etats-Unis avec 120 M$ et un "seulement" douzième premier mercredi en France avec 619.000 spectateurs en un jour. Comment faut-il comprendre ces chiffres ? Le dernier épisode de la saga Star wars est sorti il y a quelques heures que déjà, l´après-midi même, les observateurs scrutaient le score de la première séance. En France, on a parlé de déception et on annonce un triomphe chez les américains.
[mise à jour : avec finalement plus de 10 millions de spectateurs au final en France, le mot déception est bien relatif et montre que le succès du film est aussi lié à un accueil favorable du grand public, et pas seulement à l'attirance des fans de la saga] Le film est sorti en première mondiale mercredi, un jour avant les États-unis. Une exclusivité étonnante quand on sait à quel point le film jouit d´une aura particulière pour le public américain par rapport au public français. Chez les américains, il est certain que Le réveil de la force a frappé en fort en dépassant de 30% de le précédent record porté par le dernier épisode des aventures d'Harry Potter (91 M$). Le film de J.J. Abrams, qui reprend le flambeau laissé par George Lucas depuis la revente à Disney de tous les droits de sa franchise, écrase même le record pour un mois de décembre en rapportant plus que le weekend-end record de Le hobbit qui en trois jours avait fait 84 M$. C'est dire l'exploit du jour (l'analyse par boxofficemojo ici). Certains pourraient chercher à mesurer par rapport au symbole de la saga dans la culture américaine. Mais, là encore la seconde trilogie donne un axe de comparaison qui permet de mesurer la performance de ce 120 M€ en un seul jour (on imagine 250 M$ sur le weekend). Le public n'a pas répondu en masse à la proposition de Jacques Audiard de suivre l'histoire de Dheepan. On ose à peine imaginer la carrière du film au box-office sans sa Palme d'or. Avec 212.000 spectateurs en une semaine, le film de Jacques Audiard fait un score sympathique pour un film difficile, sans star et qui suit le destin d'un immigré Sri Lankais. Le bilan des films sociaux d'un Ken Loach n'est pas meilleur, même avec des héros occidentaux : Looking for Eric (170.000 entrées en une semaine), The navigators (70.000), My name is Joe (105.000)... Sa Palme d'or, Le vent se lève, avait tout de même été vu par 283.000 spectateurs lors des sept premiers jours d'exploitation pour un total de 907.000 entrées. Néanmoins Dheepan partait avec un avantage puisque Jacques Audiard était habitué à faire plus de 1,2 million, même avec Un prophète, sans star en tête d'affiche. La notoriété du réalisateur et sa récompense lui ont permis d'avoir une combinaison de 310 salles. C'est à la fois raisonnable et volontariste pour bien être présent dans les principales villes de France. Tous les films d'auteur n'ont pas cette chance.
Depuis dix ans, aucune Palme d'or d'un film étranger n'a réussi à dépasser le seuil du million de spectateur (le box-office complet depuis 1949 ici). Il en sera de même pour le "français" Dheepan alors que La vie d'Adèle (1.036.000) et Entre les Murs (1.612.000) avaient dépassé ce seuil. Mais Dheepan plait moins aux spectateurs que ses eux prédécesseurs cannois : sa note est de 6,9 contre respectivement 7,9 et 7,5 pour les deux autres Palme françaises récentes. Et surtout la dernière œuvre de Jacques Audiard stimule moins les spectateurs. Son héros Sri Lankais qui s'installe dans une cité sensible et qui reconstitue une famille de circonstance est bien différent des films français habituels (et tant mieux !). Les spectateurs qui viennent chercher évasion, divertissement ou spectacle savent qu'il y a bien mieux au cinéma dans le domaine. Il est donc difficile de créer du désir pour une grande partie du public. De plus, même si cette chronique sociale est édifiante, elle est aussi exigeante. De nombreux spectateurs qui ont envie de voir ce film qu'ils savent de bonne qualité, Palme d'or oblige, peinent donc à trouver la motivation de se déplacer. Et pourtant, sans Palme d'or, le score du film aurait été bien plus faible. Lorsque des films aussi difficile (au sens commercial) que 4 mois, 3 semaines, 2 jours (Palme 2007 réalisé par le roumain Cristian Mungiu) ou Winter Sleep (Palme 2014 du turc Nuri Bilge Ceylan) font environ 350.000 entrées en fin de carrière, on peut crier que c'est faible pour une Palme d'Or, mais c'est sans doute au moins trois fois plus que ce qu'ils auraient fait sans la reconnaissance cannoise. Le précédent film de Nuri Bilge Ceylan, Il était une fois en Anatolie, qui avait reçu pourtant le Grand Prix du jury pour un sujet moins austère n'avait attiré que 137.000 spectateur en fin de carrière. Le film suivant de Cristian Mungiu, Les contes de l'âge d'or, n'a fait que 60.000 spectateurs. Le nombre de films produits en France s'est réduit de 5% en 2014. La publication cette semaine par le CNC des derniers chiffres de la production est l'occasion de revenir sur la notion de marché d'offre qui caractérise si souvent le marché du cinéma. On distingue couramment en économie les marchés d'offre et les marchés de demande. L'ipad a montré que le marché des ordinateurs pouvait être un marché d'offre car il générait une nouvelle demande alors que la corrélation entre le moral des ménages et les ventes d'automobiles prouvent que le marché des voitures est plutôt un marché de demande. Pour le cinéma, on admet facilement que c'est un marché d'offre. En effet, il apparait comme une évidence que le box-office varie d'une semaine sur l'autre en fonction de l'attrait des nouveautés de la semaine. De même, une bonne année vient souvent d'un ou deux triomphes :
American sniper a connu une sortie triomphale dans le salles américaines, à un niveau rarement atteint par un film qui ne s'appuie ni sur une marque forte, ni sur un film précédent. Les succès précédents du réalisateur n'expliquent que partiellement ce succès immédiat.
|
Docteur en Sciences de l'information et de la communication, Laurent Darmon est devenu par cinéphilie un spécialiste de la réception cinématographique et de la sociologie du cinéma.
Il est l'auteur d'une thèse sur "l'itinéraire de l'évaluation d'un film par le spectateur au cinéma", anime des conférences et a été le Président de la Commission Cinécole 2016. Parallèlement, il est en charge du digital et de l'innovation dans une grande banque française.
|