Steven Soderbergh a proposé avec son apps interactive une nouvelle expérience de fiction en jouant sur les points de vue. Mais la plupart des spectateur n'auront droit qu'à un remontage sous forme d'une série qui cache son héritage interactif et trahit son ambition initiale. A consommer de préférence en connaissant l'origine du projet et en s'accrochant un peu au début. Steven Soderbergh est revenu au cinéma après quatre ans d'absence sur le grand écran. Une absence qui n'a rien à voir avec un congé sabbatique. Le plus jeune réalisateur palmé à Cannes est au contraire connu pour sa suractivité : pendant cette période, il a tourné entre autre un téléfilm (Ma vie avec Liberace), réalisé deux saisons complètes du superbe The Knick et préparé un ovni audio-visuel : Mosaïc [1]. Même si le budget de 20 M$ de cet ovni relève de la grosse production télévisée, on est formellement plus proche de l'esprit frondeur et expérimental de Schizopolis, Bubble et Girlfriend experience. Mosaïc n'est pas un film, ni une série, mais une offre expérientielle fondée sur l'interaction avec le spectateur pour choisir son angle narratif. Ce n'est pas non plus le spectateur qui choisit l'histoire : elle reste toujours la même, mais il peut choisir le personnage qu'il souhaite suivre. Dans cette enquête policière, tout est fait pour créer de fausses pistes à la façon d'un bon thriller. Steven Soderbergh reste un conteur et ne délègue à son spectateur qu'une fonction de son rôle de réalisateur : le choix de l'axe narratif.
Première année est un film sur deux parcours étudiants au sein d'une université de médecine, réalisé par un ancien médecin devenu réalisateur. Entre docu-fiction et fiction documenté, Thomas Lilti a choisi principalement le camp du cinéma. Un choix qui l'amène à choisir entre décrire la réalité ou raconter une histoire. Un choix qui a divisé quelques spectateurs. Le cinéma est là pour raconter des histoire. mais pour toucher au coeur son public, certains chemins sont plus efficaces. Il faut d'abord parler du spectateur pour l'impliquer et lui permettre de ressentir ce qu'il voit à l'écran dans un mouvement sympathique ("ressentir avec"). Mais il faut aussi l'amener à découvrir des choses différentes de son quotidien pour remplir son objectif de divertissement. Si le cinéma est un moyen d'évasion, il faut bien que le cinéma projette au spectateur un lieu ou des faits qui l'amènent autre part que son traditionnel "métro, boulot, dodo". Entre parler de son soi et surtout ne pas parler de chez soi, le réalisateur doit construire une fiction intime. Lorsque James Cameron évoque le naufrage du Titanic, il raconte une histoire universelle où le riche et le pauvre, homme et femme, peuvent s'identifier. Lorsque Marvel conte une aventure de super-héros, le studio prend bien soin d'attacher des faiblesses psychologiques à son héros que chacun a pu déjà expérimenter. En tournant Première année, son troisième film sur le milieu des médecins, le réalisateur Thomas Lilti a été confronté à cette opposition de raconter une histoire originale et de faire passer des émotions connues du plus grand nombre. Et comme au cinéma, on privilégie toujours l'image aux mots, il a fait des choix dans ce sens. Parfois en ajustant la réalité quand cela pouvait conforter son propos.
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Docteur en Sciences de l'information et de la communication, Laurent Darmon est devenu par cinéphilie un spécialiste de la réception cinématographique et de la sociologie du cinéma.
Il est l'auteur d'une thèse sur "l'itinéraire de l'évaluation d'un film par le spectateur au cinéma", anime des conférences et a été le Président de la Commission Cinécole 2016. Parallèlement, il est en charge du digital dans une grande banque française.
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