1995 - Le cinéma a cent ans. La plupart des êtres humains n'atteignent pas cet âge. Il est déjà remarquable que le cinema fête son centenaire. Je pense, sans l'espérer, que l'on va aussi fêter sa disparition, progressive mais rapide, en tant que mode d'expression artistique. Cent ans, c'est vieux. Le cinéma a bien vécu. Pratiquement, tout a été inventé. Il parait difficile, compte tenu des impératifs techniques, du coût et du niveau nécessaire de compétence, d'aller plus loin. L'industrialisation du cinéma, la mondialisation de sa diffusion, bref, son succès, conduisent à une uniformisation du contenu, fortement préjudiciable à la minorité de ceux qui créent. Les créateurs ne sont plus les bienvenus. Un film comme A bout de souffle - considéré du point de vue de la rupture qu'il représente - n'a plus aucune chance de voir le jour. Le mouvement intellectuel qui a donné envie à certains de faire un autre cinéma n'existe plus. En admettant qu'il existe, le producteur ne trouverait plus les moyens de financer un film ne correspondant d'aucune façon aux normes des diffuseurs. | Dans l'histoire de l'humanité, d'autres formes de création se sont éteintes. Faut-il le regretter ? Sans doute. Peut-on inventer autre chose ? Peut-être. Les artistes continueront à créer, mais probablement pas à travers le cinéma. Je n'entrevois aucun contre-pouvoir, notamment au niveau de la politique culturelle de l'Etat français, susceptible à long terme de susciter chez les artistes l'envie de s'exprimer de façon originale par le cinéma. Dans ces conditions, il vaut mieux qu'il disparaisse plutôt que de n'être qu'un système de propagande pour la barbarie et la violence. |
D'autres, au contraire, y verront la tendance défaitiste des nostalgiques de ne pouvoir anticiper les capacités de l'homme à se renouveler et à innover. La mondialisation a permis à de nouveaux cinéma se s'exprimer. Les blockbusters formatés n'ont pas du tout empêché à des petits films de trouver leur place, au moins en nombre. Internet a fait émerger un cinéma différent et le numérique a permis à un nombre toujours plus grand de tenter des choses. Des cinéastes comme Terrence Mallick et Xavier Dollan ont continué à innover. Les dessins animés Pixar ont apporté une poésie qui touche les plus petits et les plus grands. Christopher Nolan a insufflé de l'intelligence dans du grand spectacle quand Charlie Kaufman renouvelait l'art du scénario. Le cinéma européen s'est redressé pendant que des cinémas d'ailleurs ont pu apporter de nouveaux regards sur le monde. Le numérique a libéré les imaginations permettant aux cinéastes de retrouver une nouvelle liberté, mais rendant le spectateur parallèlement plus exigeant sur le sujet. Un tiers des films du top 30 d'IMDb n'existait pas il y a vingt ans.