Il y a deux systèmes pour juger de sa satisfaction. Le premier est fondé sur des attentes et la constatation d'un plaisir moins ou plus grand qu'attendu. C'est ce qu'on appelle la disconfirmation des attentes. Le deuxième, qui s'est largement développé depuis 20 ans, se base sur le concept de divergence par rapport au schéma. Cette notion de schéma est empruntée au concept développé par les cogniticiens dès les années 30 pour expliquer le fonctionnement de la mémoire et les réactions par rapport aux souvenirs. Frederic Bartlett (1932), qui est à l’origine de ce mouvement, la définissait comme « une organisation active des réactions et expériences passées, qui est supposée être opérationnelle par l’organisme si besoin ». Ils sont essentiels pour mémoriser et traiter une information. La divergence par rapport au schéma relève de la surprise. Dans le cas d'Interstellar que j'ai revu, il est clair que la surprise était minime dans la mesure où j'avais déjà vu le film et que je m'en souvenais bien.
Il n'en est rien dans mon cas d'Interstellar que je souhaite revoir. D'une part j'apprécie au cinéma d'être surpris, cette originalité des "bons films" qui savent jouer avec les schémas pour trouver leur originalité. Les frères Coen ou Quentin Tarantino se sont faits les spécialistes de ces détournements.
La particularité d'Interstellar est de chercher à concilier à la fois l'humain d'une relation père/fille et l'épique d'une odyssée spatiale. Si la promotion du film insiste sur la découverte d'espace inconnue dans l'espace, mes souvenirs les plus forts du film concernent surtout les moments entre le père et sa fille. Ainsi lorsque j'ai commencé la deuxième projection j'attendais la scène de séparation sur terre où Murph ne veut pas dire en revoir à son père pour refuser ce départ avant de lui courir après et de pleurer, pendant que son père essaie de rester fort au volant en tournant le dos à sa famille pour des enjeux qui les dépassent. La première fois que j'ai vu cette scène, l'émotion ressentie était très forte. Le cut qui suit cette scène ne faisait que renforcer l'impression.
Il y a d'autres films pour lesquels j'aurais eu plaisir à chercher à revivre (en vain) les émotions précédemment ressenties. Parfois revoir le même film, c'est aussi une façon de limiter le risque de déception avec un film que nous savons nous convenir. L'effet de simple exposition conduit aussi souvent à apprécier ce à quoi nous sommes régulièrement exposés. L'addiction aux séries télévisiées fonctionne ainsi tout comme les tubes de l'été en musique. C'est moins le cas pour un film que l'on revoit juste pour la seconde fois.
L'avantage d'Interstellar, c'est aussi qu'il y a plusieurs niveaux de lecture. Le réalisateur Christopher Nolan lui-même indique : "Il y a toutes sortes de complexités dans Interstellar que le public n'est pas censé pouvoir analyser en une fois," . C'est aussi ce plaisir que j'ai recherché : percer les secrets d'un scénario malin et chercher, par une attention libérée, ce qui m'avait échappé la première fois. Un vrai plaisir de cinéphile à la portée de tous.
La chercheuse Cristel Russel a travaillé justement sur ces reconsommations et publié une étude sur le sujet en août 2012 [1]. Elle montre que les consommations suivent cinq objectifs : régressif, progressif, reconstructif, relationnel et réflectif. A l'exception du régressif qui portent surtout sur les reconsommations d'expériences de l'enfance, nous nous retrouvons bien dans ces quatre autres tendances pour Interstellar.
Et en bonus une scène détournée d'Interstellar avec le héros qui, a la place de découvrir les messages de ses enfants, regarde avec émotion le nouveau trailer de Star wars 7. Un bel exemple d'illustration d'un plaisir régressif.
(1) "The temporal and focal Dynamics of volitional reconsumption: a phenomenological investigation of repeated hedonic experiences" dans Journal of consumer research