Donné comme l’un des sérieux favoris à sa sortie, le film biographique Selma (en vidéo ce mois-ci) sur Martin Luther King et sa lutte pour les droits civiques des afro-américains n’a récolté que deux nominations et finalement le seul oscar de… la meilleure chanson. On ne peut nier que les positions politiques de la réalisatrices au moment du vote (son soutien à la manifestation organisée à la non-inculpation du policier qui a brutalisé mortellement un père de famille noir) ont pu nuire à des votants qui ne voulaient pas être pris en otage. Il y a eu certes aussi une polémique sur la représentation de la position du président Lyndon Johnson, mais un film comme Gandhi en 1983 avait aussi généré des débats d’historiens sans que cela nuise à ses 8 oscars.
En allant dans son sens, on constate tout simplement que les films qui ont des adolescents comme héros gagnent rarement (on citera l’exception notable de Slumdog millionaire, version américainsé du bollywood movie) alors que c’est une grosse part de la production qui cible le public jeune, majoritaire en salles.
Dans une étude parue il y a deux ans, j’avais soulevé ce lien. J’utilisais les données 2006/2009 de l’Observatoire de la satisfaction qui interroge chaque mercredi pour l’hebdomadaire Écran total environ 1000 spectateurs sur deux à quatre films. Je retenais notamment les genres de la comédie dramatique et de la comédie romantique. Le deuxième est un sous-genre du premier : une romance est une comédie dramatique dont le ressort narratif est fondé sur l’amour contrarié. Pourtant les écarts homme/femmes présentent une différence importante : 3,5 pour les comédies dramatiques et 10,4 pour les romances.
Outre son thème de prédilection, la romance se distingue par le point de vue qui est adopté par le réalisateur. Si la plupart des films retiennent un regard masculin, la romance est souvent plus équilibrée : sur notre échantillon de 38 romances, 18 ont retenu un héros féminin pour porter la narration et 20 un héros masculin. Cela conforterait une lecture identitaire du film selon le sexe du spectateur et le caractère identificatoire du film. Pour Laura Mulvey (1975), il y a deux sources principales de plaisir visuel au cinéma : « le premier, scopophilique, résulte du plaisir à regarder une autre personne comme objet de stimulation sexuelle. L’autre, fondé sur le narcissisme et la constitution de l’ego, provient de l’identification à ce qui est observé ». Face aux films qui retiennent l’homme comme sujet et la femme comme objet, normalement la spectatrice « est réduite à constater sa propre réduction à l’état de support de l’activité masculine et doit en refuser le principe » (Esquenazi, 2003).
Le second principal constat porte sur les préférences par sexe. Hommes et femmes préfèrent, relativement, les films qui adoptent le point de vue de leur sexe. La satisfaction moyenne des hommes est de 2,1 points supérieure lorsqu’il y a harmonie entre le sexe du spectateur et celui du héros principal (69,4 contre 67,3) ; elle est même de 4,7 points supérieurs pour la satisfaction des femmes (81,4 contre 76,7) lorsque cette harmonie est respectée.
On pourrait penser que les différences sont liées à la nature des sous-intrigues ou thèmes qui peuvent justifier les préférences sexuées davantage que le point de vue narratif. Un exemple plus récent, La stratégie de la poussette (2012), indique qu’il s’agit d’une fausse-piste. Cette comédie romantique prend clairement un point de vue narratif masculin, mais elle s’appuie sur l’idée d’un père qui utilise un bébé pour attendrir son ex-fiancée qui travaille dans une crèche et ainsi reconquérir son cœur. La petite enfance est une thématique plutôt féminine qui n’a pourtant pas donné un supplément de satisfaction au public féminin : le taux de satisfaction des hommes ressort à 74% contre 77% pour les femmes. Ainsi, l’écart n’est que de 3 points alors que sur notre échantillon il est de 7,3 points pour les comédies romantiques « masculines » confirmant que le poids du point de vue narratif a été plus important que la nature du thème de la petite enfance.
Afin de valider cette approche sur un sous-genre homogène, nous avons également examiné la base IMDb qui permet de connaître par film la satisfaction des internautes selon leur sexe. Si un biais d’échantillon est évident (seuls les internautes volontaires sont comptabilisés), en revanche les comparaisons entre films permettent de mettre en évidence certaines différences puisque ce biais est homogène entre œuvres comparables. Ainsi, avons-nous retenu ici les films de super-héros produits par les studios américains depuis le début des années 2000 et 2011.
Plus symptomatique, mais plus ancienne, la série de films avec Arnold Schwarzenegger dans le rôle de Conan est intéressante car ce personnage apparait dans trois films, mais le dernier épisode de la franchise est centré sur une héroïne. Là encore, la satisfaction féminine est plus importante lorsque le héros correspond au sexe du spectateur à genre, thématique et mise en scène similaires.