Qu'il est dur d'être un réalisateur respecté par son public.
Il n'y a pas qu'un film. Chaque spectateur emmène avec lui sa propre version en sortant de la salle. On peut même dire que le public confronte sa version à celle de l'auteur pour juger d'un film. Parfois, certains d'entre eux vont beaucoup plus loin et cherchent à rapprocher ces deux visions dans un montage revu pour obtenir un film plus "pur". Deux subjectivités qui s'affrontent pour le plus grand plaisir des spectateurs curieux du net.
Un film cesse d'être celui de son auteur pour devenir celui du public lorsqu'il est diffusé. Les spectateurs s'en emparent pour apporter leur interprétation indépendamment du message que voulait éventuellement porté le réalisateur ou le scénariste. Cette réalité a même été tranchée juridiquement par jugement de la Cour d'appel de Paris en mars 2009 lorsque Alain Cavalier avait tenté de s'opposer à une diffusion à la télévision de son film Thérèse dans le cadre d'une émission-débat sur la foi considérant qu'il avait fait un film sur une jeune fille prise d'une passion non religieuse pour un homme mort 2000 ans plus tôt.
Pourtant certains auteurs ne peuvent abandonner leur film et reviennent parfois régulièrement le modifier. George Lucas l'a fait plusieurs fois pour "améliorer" son montage de Star wars, puis pour y rajouter la 3D et des effets spéciaux modernisés. Concernant Blade runner, Ridley Scott, insatisfait de son premier montage, a revu son film par deux fois pour proposer un director's cut (1992), puis un montage définitif (2007).
Il était donc logique, à l'heure du numérique que certains spectateurs révisent à leur tour des classiques pour proposer sur le web leur version modifiée.
Il existe ainsi depuis 2000 un montage officieux de La menace fantôme qui réjouit les fans qui ne supportent pas Jar Jar Binks, personnage trop comique/enfantin par rapport au reste de la trilogie, et l'explication biologique donnée de l'origine de la Force. Malgré deux scènes coupées réintroduites, cette nouvelle version, qui a eu droit à une sortie officieuse mais tolérée en DVD, fait 18 minutes de moins que l'original. On peut aussi citer un montage des Aventuriers de l'Arche perdue où se retrouvent justement des éléments de Star Wars, l'autre saga de George Lucas. Un réjouissant mashup à voir ici.
Pour The hobbit, un monteur amateur a jugé la version de Peter Jackson trop longue et l'a raccourci de moitié en gardant l'ensemble de l'intrigue : presque 4h30 ! Cela s'appelle the tolken edit. On perd le pas-si-utile prologue avec Bilbo, la découverte de la citadelle de Dol Guldor, le personnage de Tauriel (inventé pour les films afin de féminiser le casting), quelques intrigues chez les orcs. Une communauté de supporters de son initiative s'est lancée depuis dans le sous-titrage de cette version alternative (français, mais aussi polonais, estonien, espagnol...)
Dernièrement, c'est Kellen Phillips, un fan de Quentin Tarantino, qui a décidé de revoir sa filmographie. Il a logiquement commencé par son "plus mauvais film" (de l'avis partagé de son propre réalisateur) : Boulevard de la mort, originalement sorti dans le montage Grindhouse en version courte en double programme, puis en version longue individuellement. De cette version longue de 114 minutes, il ne reste plus qu'un montage nettement plus resserré et moins bavard de 75 minutes. L'essentiel de la seconde partie est préservée et la trop longue scène de dialogue dans le bar ne dure plus que 16 minutes.
Il s'est ensuite attaqué à un "bon Tarantino" avec Django (60ème du top 250 d'IMDb). Là encore, le montage est plus court avec une volonté de réduire l'intrigue sur quelques jours plutôt que quelques mois pour renforcer la tension. Pas sûr que la relation avec le Docteur Schultz et Django en sorte renforcée. Outre les 27 minutes en moins, le principal changement concerne une révision de la chronologie pour retrouver la façon dont Tarantino jouait avec la linéarité narrative dans ses premiers films.
Kellen Phillips est aussi l'auteur d'un récent nouveau montage des8 salopards du même Quentin Tarantino. Il a là encore raccourci le film, notamment de ses plans à la violence sanguinolente et modifié une chanson. Ce montage en ligne quelques jours a malheureusement été retiré pour des raisons de protection des droits d'auteur.
En 2015, c'est Tueurs nés, film de Oliver Stone sur un scénario de Quentin Tarantino, qui eut droit à un nouveau montage de fan pour tenter de retrouver l'esprit des futurs films de son scénariste considéré comme trahi par le réalisateur de Top Gun. Là, le spectateur-fan considérait que le film appartient bien à son auteur, mais qu'il fallait le chercher du côté du scénariste, et non de son metteur en scène.
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Docteur en Sciences de l'information et de la communication, Laurent Darmon est devenu par cinéphilie un spécialiste de la réception cinématographique et de la sociologie du cinéma.
Il est l'auteur d'une thèse sur "l'itinéraire de l'évaluation d'un film par le spectateur au cinéma", anime des conférences et a été le Président de la Commission Cinécole 2016. Parallèlement, il est en charge du digital et de l'innovation dans une grande banque française.
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