Les séances du matin sont à partir de 8h30. Donc levé à 7h15 pour rejoindre la jolie salle de la Croisette à l'hôtel Marriott. On y projette Neruda qui évoque le grand poète chilien qui avait déjà inspiré il y a 20 ans le beau film italien Le facteur sur sa période en exil. Parmi le public matinal, la presse hispanophone est très bien représentée soulignant à quel point un film attire d'abord sa communauté culturelle.
Le film Neruda est une biographie qui s'attarde sur les années qui mènent le poète, futur prix Nobel de littérature, de l'opposition politique au Chili à son exil en France. Le ton n'est ni réaliste, ni hagiographique. "Le parti pris n'était pas de faire un film sur Neruda, mais un film à la Neruda" explique le réalisateur Pablo Larrain présent dans la salle ce matin. Il a su bien traduire à l'écran l'écrivain conscient d'être en train de créer son propre mythe, car en rentrant dans la clandestinité il n'a plus accès au peuple directement mais il ne peut offrir que son aura. Le film n'a pas fait l'unanimité parmi nous mais le public connaisseur du personnage historique a visiblement adoré à entendre les réactions enthousiastes pendant la projection. Personnellement, j'ai aimé le ton malgré une dernière demi-heure moins réussie. Plus tard dans l'après-midi, on constatera une évolution positive de notre groupe sur le film suite à quelques échanges entre nous.
Pour le déjeuner, une petite visite au marché du film où les stands de producteurs en mal de distributeurs sont réunis en essayant d'attirer le chalant avec des affiches toujours plus alléchantes que les films eux-mêmes. Tout un art.
Et Isola est effectivement un film difficile, très difficile. Rien dans sa forme n'est aimable, de son esthétique aux images parfois floues, ses cadrages heurtés, son interprétation fièvreuse et son rythme lent. Surtout son thème est austère : la schizophrénie d'une jeune chinoise qui ne parle que sa langue natale sur l'île de Lampedusa où elle recueille et enferme un réfugié qui ne s'exprime qu'en arabe, le tout avec des images volées de l'arrivée des premiers réfugiés sur l'île. La réalisatrice a volontairement cherché à accueillir la réalité dans sa fiction où son héroïne apporte un regard neuf sur des scènes documentaires. Certains spectateurs ont accroché avec enthousiasme comme l'a montré la ferveur des questions à l'équipe à l'issue de la projection. La plupart du public a néanmoins quitté la salle sans demander de bonus. On est proche d'un cinéma expérimental, mais c'est en voyant l'actrice principale dans sa normalité qu'on saisit la performance d'acteur. Dommage que le spectacle ait été aussi pénible à regarder.