Le terme de film transgénérationnel lui sied particulièrement bien. D'abord parce que c'est l'histoire d'une relation entre un jeune étudiant et une femme d'âge mûr, mais aussi parce que chaque génération se retrouve dans le parcours de ce jeune homme maladroit qui doit trouver sa place dans une société construite par la génération d'avant. C'est la force des films de campus de permettre à chaque génération de spectateurs de se projeter à une époque clé de la constitution de son identité.
Benjamin va suivre un parcours initiatique où il va réaliser "qu'il ne peut se résumer à ce qu'on dit de lui dans son livret universitaire et qu'il est passé à côté d'une partie essentielle de sa vie d'étudiant" [1]. Les films de campus ont pour caractéristique d'apprendre la transgression pour pousser les limites de son enfances et choisir où l'on posera les valises de sa vie d'adulte.
Le film a d'ailleurs parfaitement traversé les générations, résistant au temps depuis un demi-siècle : les jeunes l'appréciant au moins autant que leurs aînés comme le montrent les votes sur IMDb (8,5 pour les moins de 18 ans et 8,1 pour les 18/29 ans contre 8 pour les plus de 45 ans). Bien peu de films antérieurs à 1970 peuvent en dire autant.
For God's sake, Mrs. Robinson, here we are, you've got me into your house. You give me a drink. You put on music, now you start opening up your personal life to me and tell me your husband won't be home for hours... Mrs. Robinson, you're trying to seduce me. Aren't you?
La réplique est souvent transformée en "Mrs. Robinson, are you trying to seduce me?", qui pourtant en change la signification. Elle est bien en deux temps : le "Mrs Robinson, you're trying to seduce me" est suivi après une légère pause d'un "aren't you" qui traduit l'incertitude de Benjamin à juger de la situation. Elle le remet en position d'infériorité subie relative à une relation parent/enfant dont il est incapable de sortir. Pour marquer la différence de génération, les parents et amis de la famille n'ont pas de prénom alors que la génération du jeune Braddock en a un (Benjamin, Elaine, Carl) : Mrs Robinson sera toujours Mrs Robinson même dans la chambre d'hôtel.
Cette scène marque le début de l'intrigue et de la relation entre les deux personnages. En effet, un peu plus tard dans le film, Mrs Robinson dira à Benjamin quand il l'aura raccompagnée chez elle : "would you like me to seduce you ? ... Is that you're trying to tell me ?" Quant à la scénographie avec la jambe de Mrs Robinson au premier rang et Benjamin qui se tient droit en arrière-plan, on la retrouvera dans la chambre d'hôtel. Mais cette fois Benjamin fait preuve de bien plus de confiance en lui.
"For God’s sake, Mrs. Robinson. Here we are. You’ve got me in your house. You put on music. You give me a drink. We’ve both been drinking already. Now you start opening up your personal life to me and tell me your husband won’t be home for hours.”
“So?”
“Mrs. Robinson,” he said, turning around, “you are trying to seduce me.”
She frowned at him. “Aren’t you.” She seated herself again on the couch.
Aren’t you?”
Mrs Robinson devait apparaître comme une prédatrice pour Mike Nichols qui choisit les accessoires du décor pour renforcer cet effet : "We talked about it being a jungle, and it was a jungle. There were all these plants and the Beverly Hills garden behind the glass that surrounded the sun porch. And we talked about her being the tiger in the jungle and she had a tiger-striped dress on and it was all built to be a trap, a tender trap. We wanted to find a way to express the fact that she was being provocative... And there was her leg and it was up and it seemed logical".
Dans cette scène, Benjamin n'a rien du séducteur classique hollywoodien : il doute continuellement de lui-même. On retrouve tout au long du film cette difficulté existentielle dans un monde où des barrières invisibles se dressent entre lui et le monde des adultes : dans le film, il est continuellement séparé de surfaces vitrées, de son masque aquatique à la grande vitre de l'église, en passant par l'apparition de Mrs Robinson derrière les parois d'un aquarium. A la fin seule Elaine aura rejoint Benjamin derrière la fenêtre du bus qui s'en va, brisant partiellement les barrières invisibles évoquées dans les paroles de la chanson du générique The sound of silence. chantée par Simon & Garfunkel.
[1] - Emmanuel Ethis et Damien Malinas - Les films de campus - 2012 - Armand Colin
[2] - En France, le film ne sortira qu'en septembre 1968, soit quelques mois après les événements de mai 68 et sa révolte étudiante.
[3] - Mike Nichols : "la chose qui me plait le plus dans Le lauréat, ce sont les trois dernières minutes du film, durant lesquelles les deux jeunes gens sont assis dans l'autobus, désorientés mais parfaitement conscients que rien n'est résolu. Ils ne savent pas quoi se dire... Tout est possible" (in Le cinéma - 1983 - Editions Atlas - p 1473).