De fait, il peut être intéressant alors de regarder les films en se référant à ce qui caractérise une société. Il existe de nombreux axes de lecture proposés par l'ethnologie et l'analyse interculturelle : la religion, l'intergénérationnel, la linguistique/phonologie... L'une de ces approches qui nous a séduit est celle de Clair Michalon pour expliquer les différences culturelles. Elle a l'avantage d'une cohérence qui peut s'appliquer à la fois à un individu et à une collectivité.
Il n'y a pas de jugement de valeur à avoir entre ces deux perceptions du monde qui sont, chacune, cohérentes. Au niveau sociétal, les communautés africaines traditionnelles sont sur le premier modèle quand l'occident évolue dans le second. Pour autant, ces modèles se retrouvent au sein de chacun de ces types de société, au niveau individuel.
En effet, entre les deux pôles extrêmes, chaque individu se positionne à un moment donné. En effet, la position n'est pas absolue car on naît dans le monde de la précarité en nourrisson et on y revient en vieillissant. Entre les deux, on fait un bout de chemin vers la sécurité. Les sociétés les moins développées restent dans la précarité car la population vit dans un monde où le risque est partout (maladie, guerre, manque de nourriture, chômage...) tandis que les sociétés industrielles prônent la liberté et l'individualité dans un monde où le risque a été banni par le principe de précaution et des procédures.
Le Cercle des poètes disparus montre justement des jeunes à qui on propose une société de tradition et qui vont apprendre le carpe diem d'Horace : "Carpe diem quam minimum credula postero" qui se traduit par "Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain". C'est le symbole d'une société de sécurité qui oublie le risque et la mort. Le loup de Wall-Street fonctionne sur une société du toujours mieux qui a dérivé vers le toujours plus.
A l'inverse, le film Voyage au Groenland projeté à Cannes cette année montre un pays où il est difficile de vivre et les deux jeunes héros en visite vont découvrir des traditions qui permettent au peuple local de survivre et où la compétition n'a pas sa place. Ils vont rapidement comprendre que lorsqu'ils s'écartent de ces règles, ils risquent leur peau. Mais il n'y a pas à aller si loin pour trouver cette perception du monde. Dans Le Parrain, il y a danger en permanence entre la police qui rode toujours autour de la maison familiale et des "amis" susceptibles de vous trahir. La tradition est forte et Il ne s'agit pas de faire mieux que le père, Michael ne cherchant à prendre sa place qu'à sa disparition, tout comme dans Le Parrain 2, le jeune Vito quitte sa Sicile natale qu'au moment de la mort de ses parents. La survie de la communauté passe par la famille qui se doit d'être nombreuse car face aux risques mortels, il faut du monde pour confirmer qu'il en restera au moins un assurant la descendance. Dans le film de Francis Coppola, Michael n'hésite pas à se séparer de sa femme, mais en aucun cas de ses enfants qui doivent assurer la survie des Corleone.
Examinons quelques thématiques perçues différemment selon la perception du droit à l'erreur (intolérable ou accepté).
Dans Mustang, il y a la description d'une société de traditions mais où les sœurs héroïnes cherchent leur liberté pour s'affirmer et faire mieux que leurs grands-parents qui les élèvent. L'émancipation est liée au personnage de l'institutrice qui vient d'une grande ville, Istanbul, plus anonyme, mais où l'initiative est possible.
Dans Les choristes, face à un enseignement rigide, il y a cette fois la tradition de la chorale qui forge le groupe en solidarité. Il faut recréer un lien familial comme Pepinot qui va retrouver une famille d'adoption en suivant Clément Mathieu, joué par Gérard Jugnot
Principe relationnel contre principe fonctionnel
Dans Les Choristes, l'opposition n'est ni vis-à-vis de l'institution, ni des parents. Pepinot rêve de retrouver sa mère comme les autres enfants.
Au contraire, les parents sont totalement absents de Mustang (on aborde par non-dit leur "disparition" comme un fait acquis au début du film) et les filles chercheront à fuir leurs grands-parents. La réalisatrice, d'origine turque mais ayant grandi en France, a un regard occidentalisé sur la Turquie d'aujourd'hui. On ne se construit pas par rapport à ses parents, mais par rapport à ce que l'on fait.
Logique conservatoire contre logique évolutive
Dans un mode conservatoire, la solidarité est essentielle car c'est une force face à l'adversité.
Le Directeur des Choristes, correspondant au pole négatif de l'histoire, ne représente pas le maintien des traditions mais la volonté que les enfants soient meilleurs. C'est au contraire le surveillant, véritable héros, qui propose au groupe une unité dans la chorale, que chacun se mette au service du tout. On remarque que Le Cercle des poètes disparus posait des valeurs exactement inverses avec pourtant le même cadre d'un établissement scolaire strict.
Les filles de Mustang forment certes un groupe face à une situation difficile mais elle pose chacune une solution différente et accepteront de fait de se séparer : l'essentiel est d'échapper à la tradition de la famille. Le groupe familiale explose et la solidarité entre les filles est relative.
Peter Paker, sous le masque de Spider-man, s'installe dans la vie et se caractérise par ce qu'il fait puisque "de grands pouvoirs imposent des grandes responsabilités". Les films sur l'homme-araignée tournent autour de cette création d'identité d'un jeune adulte qui prend sa place dans la société. Au début du premier film de Sam Raimi, il décide d'ailleurs de ne pas prendre d'initiative et de laisser un voleur s'en aller. Il sera "puni" par la mort de son oncle et décidera désormais de prendre des risques et d'agir. Il s'oppose à l'éditeur de son journal qui veut un monde plus traditionnel. Il se définit dans la vie par ce qu'il fait, photographe, et c'est un héros solitaire.
Peter Parker: [voiceover] Whatever life holds in store for me, I will never forget these words: "With great power comes great responsibility." This is my gift, my curse. Who am I? I'm Spider-man.
(Spider-man - Sam Raimi - 2002)
Bruce Wayne: What have I done, Alfred? Everything my family... my father built...
Alfred Pennyworth: The Wayne legacy is more than bricks and mortar, sir.
Bruce Wayne: I wanted to save Gotham. I failed.
(Batman begins -Christopher Nolan - 2005)
Tancredi Falconeri: Il faut que tout change pour que rien ne change
(if we want things to stay as they are, things will have to change)