Il était une fois... La comédie musicale, un genre américain

La comédie musicale est un genre attaché à la culture américaine. Son histoire commence avant le cinéma, mais c'est bien le septième art qui s’appuiera sur lui pour offrir du spectacle et du rêve à ses spectateurs.

---

Il faut bien admettre que si des tentatives de films musicaux existent hors du territoire américain, le genre ne s'y est jamais imposé durablement. En France, Jacques Demy a réussi à poser sa patte, mais il est resté bien seul malgré quelques tentatives régulières (Les chansons d'amour de Christophe Honoré, 8 femmes de François Ozon, On connait la chanson d'Alain Resnais).

L'histoire d'une nation connait des moments de cristallisation qui forgent sa culture. Une culture qui partout s'est construite autour de la danse et de la musique et des loisirs dominants au moment où la culture moderne s'est transmise autrement que par oral. C'est la bourgeoisie, classe sociale large avec un pouvoir d'achat, qui est au fondement de cette cristallisation. Quand elle s'impose par le nombre ou en remplaçant l'influence de l'aristocratie locale, la culture d'un pays connait un jalon important de son histoire.
​Ainsi en France, l'opéra provient de la rencontre entre le théâtre populaire et la musique classique (c'était la musique de la cours, mais elle était moins élitiste qu'aujourd'hui). L'opérette et l'opéra-bouffe ont donc été au centre de la culture de la classe bourgeoise du 19ème siècle lorsqu'elle s'est constituée.
En Inde, la classe bourgeoise est nettement plus récente et c'est la rencontre entre la musique, la danse et le cinéma qui a forgé le populaire Bollywood. La plupart des films populaires ou comédies romantiques contiennent leur lot de morceaux musicaux qui viennent ponctuer l'intrigue.

Aux Etats-Unis, pays plus jeune, la bourgeoisie naissante du début du 20ème siècle a vu la comédie musicale naître de la rencontre entre le théâtre et la musique de l'époque. Bien avant le création du cinéma, on voit apparaître la première comédie musicale, the black crook, justement aux Etats-Unis (même si l'intrigue se déroule en Europe). Ce n'est sans doute pas un simple hasard. Pas étonnant que le cinéma américain s'en empare immédiatement. Le chanteur de Jazz est le premier film parlant et c'est un film musicale mettant en avant le jazz qui déjà, avait quitté les Etats du sud pour s'imposer à Broadway. Mais un an plus tôt, il y eu déjà le premier film sonore : Don Juan. Lui aussi est américain et c'est un film musical.
Les années 30 verront le premier âge d'or de la comédie musicale au cinéma autour du studio RKO et des films de Fred Astaire avec Ginger Rogers : La joyeuse divorcée et surtout Top hat resteront les plus beaux succès de cette période propice au genre. La décennie se finit avec son plus gros succès : Le magicien d'Oz et ses moments chantés (2 Oscars pour sa musique).

La comédie musicale succède aux revues de music-hall en y rajoutant une intrigue que l'on retrouvait déjà dans le burlesque anglais qui tournait autour d'une trame légère. C'est le cinéma qui va sonner le glas de ce genre dans la plupart des pays, dont la France qui avait une tradition forte avec les Folies Bergères et le Moulin Rouge. Aux Etats-Unis, au contraire, le genre va se renforcer et devenir une attraction new-yorkaise avec des recettes souvent supérieures à celles d'un blockbuster hollywoodien (The Phantom of the Opera a rapporté plus qu'Avatar en salles dans le monde : 3,2 Md$ contre 2,7 Md$).
Si des comédies musicales s'imposent sur les scènes anglaises et françaises, elles sont rapidement reprises par les américains qui font un triomphe aux plus populaires. Ainsi, The Phantom of the Opéra et Les Misérables seront parmi les plus gros succès de Broadway après avoir été créés respectivement à Londres et en France : Les Misérables a le record de durée avec 21 ans à Broadway et The Phantom of The Opera le record de recettes. Les deux auront droit à une adaptation au cinéma par Hollywood avec des budgets de plus de 60 M$ chacun.

Car, contrairement aux autres pays où les films musicaux se rarifient (sauf en Inde), aux Etats-Unis, le genre du film musical se porte bien. MGM a connu son âge d'or du musical dans les années 50 : Fred Astaire, Cyd Charisse, Judy Garland, Gene Kelly, Vincente Minnelli, Debbie Reynolds, Frank Sinatra et Esther Williams sont sous contrat pour la Major. La période MGM se finit en apothéose avec Gigi qui gagnera 9 Oscars dont celui de meilleur film en 1959. On constate que c'est dans le film musical que les scénaristes jouent souvent le plus facilement avec la discontinuité narrative.
Le musical reviendra encore régulièrement à l'honneur :

• West Side Story (1961), gagnant de 10 Oscars dont meilleur film
• ​My Fair Lady (1964), gagnant de 8 Oscars dont meilleur film
• La Mélodie du bonheur (1965), gagnant de 5 Oscars dont meilleur film
• Cabaret (1972), gagnant de 8 Oscars
• Grease (1978), plus gros succès commercial de l'année 1978
• Que le spectacle commence (1979), gagnat de la Palme d'Or à cannes et de 4 Oscars​
• Moulin Rouge ! (2001). gagnant de 2 Oscars
• Chicago (2002) , gagnant de 6 Oscars dont meilleur film
• Sweeney Todd (2007), gagnant d'un Oscar
• Les Misérables (2012), gagnant de 3 Oscars
• La la land (2016), gagnant de 6 Oscars.
  

Pourtant plus rien n'est comme à l'époque de l'âge d'or RKO et MGM. Tout simplement parce que le public s'est lassé. La base de la comédie musicale est de proposer un grand spectacle fantaisiste qui divertit le public. Cela s'avère coûteux à produire. Or en matière de divertissement, le musical s'est ringardisé et a été repris par la télévision et ses radio-crochets (c'est le thème du film d'animation Tous en scène). Il en a découlé une baisse de la production et donc une difficulté pour les studios à poursuivre une production abondante qui permettait de réduire les coûts de production. Produire une comédie musicale est donc un risque financier qui doit s'appuyer sur un spectacle de Broadway qui a fait ses preuves : Mama Mia, Les Misérables ... alors que parfois ces musicals de Broadway proviennent eux-même d'un film (Hairspray, La petite boutique des horreurs... sans oublier l'échec de Spiderman, le musical)
Depuis le genre a évolué pour s'adapter à des niches à travers le film générationnel autour d'un genre musical (The blues brothers) ou d'un chanteur (8 mile). On n'hésite pas à le coupler au mélodrame (Moulin Rouge ! tourné par l'australien Baz Luhrmann) ou au film d'horreur (Sweeney Todd). Il s'est trouvé un concurrent, dont il se distingue, à travers le film de dance sans chanteurs diégétiques (La fièvre du samedi soir, Footloose, Dirty dancing).

Alors le triomphe tant critique que public de La la land ne peut qu'amener à s'interroger sur son succès en apparence anachronique. Mais La la land n'est pas un film musical comme les autres. On y trouve certes des numéros musicaux rappelant les performances de Gene Kelly et l'ambiance des films de Jacques Demy, mais le film n'hésite pas à s'en passer pendant 40 minutes  tout simplement parce que "on a essayé d'en rajouter, mais ça sonnait faux" (Damien Chazelle [1]). Le réalisateur tente le difficile exercice de montrer des héros qui naviguent entre la réalité et le rêve, entre la fiction et le fantasme. Or par essence, les moments musicaux sortent le spectateur de la diégèse du film. La la land joue de transporter le spectateur entre ces deux mondes, positionnant les numéros musicaux en instants poétiques en regard du monde fictionnel, et non en alternative théâtrale se justifiant par elle-même. La la land est d'abord un film très "sérieux" qui utilise la danse et le chant pour illustrer son propos lorsque cela l'exigence et le permet, et non comme finalité.

La La Land - Movie References from Sara Preciado on Vimeo.

Signe de la maturité du genre, les morceaux musicaux ont pratiquement disparu des films d'animation il y a quinze ans environ pour mieux réapparaître dans... les teen movies (High school musical). Un retour à des intrigues légères dans un monde idéalisé.

​[1] - Interview Damien Chazelle - Première n°475 - page 46