Débat : Qu'est-ce qu'un film français ?

Isabelle Giodano, ex-journaliste aujourd'hui Directrice générale d'UniFrance, a écrit une tribune sur ce thème dans Les Echos : Qu'est-ce qu'un film français ? Dans un esprit d'ouverture, elle y défend un cinéma français enrichi par des auteurs internationaux qui proposent un vision "ouverte sur la mondialisation". Le message est joli, mais forcément réducteur.

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Le cinéma français qui a tant contribué à l'histoire du 7ème art (Les frères Lumière, Méliès) et a su apporter une regard spécifique (Nouvelle vague) voit sa personnalité se diluer dans des productions internationales. Avec ses acteurs américains en vedette dans des productions anglophones pour mieux se vendre à l'étranger, Studio Canal (Gunman, The commuter) et surtout Europacorp (Le transporteur, Taken, Colombiana, Lucy) sont allés chasser sur les terre des studios hollywoodiens.

Peut-on dire pour autant que ce ne sont pas des films français ? Comme l'avait théorisé Siegfried Kracauer, les films reflètent ceux qui les font. Et ils sont tous créés par des auteurs français. Lorsque Luc Besson se lance dans Taken ou 3 days to kill, ce n'est pas un hasard si une partie du tournage aura lieu en France : les raisons ne sont pas qu'économiques. L'une des images les plus iconiques de Paris que je connaisse provient de Frantic de Roman Polanski avec Harrison Ford en tête d'affiche : la star américaine, pressé, se retrouve bloqué derrière un camion-poubelle et peste contre ce cliché de la capitale française. Ces superproductions doivent être d'autant plus défendues, notamment par UniFrance, qu'elles génèrent des succès qui profitent aux productions françaises par le jeu des taxes sur les billets et de l'avance sur recette qu'elles permettent de financer. Pourtant, il n'y a pas un mot à leur sujet dans le billet d'Isabelle Giordano paru dans Les Echos.

Rappelons plus précisément les tenants du débat évoqué. L'université de Columbia proposait le 10 novembre dernier une réflexion sur le cinéma national à l'heure de la mondialisation en retenant l'exemple du cinéma français : " But is it French? National Film Culture in an Age of Globalization".

Il s'agissait de mettre en relation un art d'artistes avec un monde où les frontières sont tombées depuis longtemps au cinéma : le cinéma est universel d'abord parce qu'il s'est très tôt ouvert à des réalisateurs du monde entier. C'est la culture même de ce pays qu'est les Etats-Unis que de recevoir des immigrants et de les intégrer pour enrichir sa culture nationale. Il en ressort une culture de plus en plus forte qui devient universelle par le jeu de la mondialisation, mais aussi de plus en plus riche car de plus en plus cosmopolite. Hollywood attire les talents depuis longtemps. Ernst Lubitsch et F.W. Murnau dans les années 20, Alfred Hitchcock et David Lean après la guerre. Il y a eu une vague de talents venus de l'Est dans les années 70 avec Milos Forman et Roman Polanski. Le mouvement s'est accéléré et diversifié depuis les années 80 (Lasse Hallström, Ridley Scott, Atom Egoyam, Stephen Frears, Adrian Lyne, Peter Jackson, John Woo, Tsui Hark...). Ces dernières années, l'Oscar du meilleur réalisateur est trusté par ces metteurs en scène "étrangers" :

• 2015 : Alejandro González Iñárritu (mexicain) pour Birdman
• 2014 : Alfonso Cuarón (mexicain) pour Gravity
• 2013 : Ang Lee (taïwanais) pour L'Odyssée de Pi 
• 2012 : Michel Hazanavicius pour The Artist (un film français sur Hollywood !)
• 2011 : Tom Hooper (britannique) pour Le Discours d'un roi 

C'est justement cette même réalité qu'Isabelle Giordano met en avant pour indiquer que le cinéma français est là aussi dans sa diversité. Il est moins français "de souche" surement, mais pas moins français. La démonstration se tient et il est indéniable que de nombreux films français marquants de ces dernières années sont l'oeuvre de cinéastes nés hors de l’hexagone : Abderrahmane Sissako , Roman Polanski  (encore lui !), ​Michael Haneke, Aki Kaurismäki, Asghar Farhadi​, Julian Schnabel, les frères  Dardenne ​, Deniz Gamze Ergüven ​, Radu Mihaileanu ...

On sait que cette année la France sera représentée par Paul Verhoeven et son Elle. C'est bien un film en français avec Isabelle Huppert et Laurent Laffite d'après le roman français de Philippe Djian. Oui, mais on ne peut s'empêcher de trouver ce film terriblement teinté de la sensibilité si particulière du cinéaste hollandais.
Le prochain film de Luc Besson, Valerian, est une superproduction à 197 M€ qui semble participer à la surenchère en matière d'effets spéciaux des gros budgets américains, recours à ILM et Weta digital à l'appui. Pourtant on sent dans toutes les images de la bande-annonce l'influence de Jean-Claude Mézières, un auteur bien français dont l'influence se retrouve dans Star wars de l'américain George Lucas.
On pourrait aussi citer Mustang et son thème d'une famille conservatrice en Turquie pour relever comme son sujet est plus turc que français. Mais ce serait un éventuel contre-sens tant ce film est empreint d'un regard occidental dans sa vision du monde.

Rien n'est simple donc pour qualifier un film de français ou non, avec le risque d'un dérapage vers les mauvais côtés du débat sur l'identité nationale. Se limiter à son financement est tout aussi absurde que de s'arrêter à la nationalité de son réalisateur. La nationalité d'un film n'a finalement d'intérêt que pour rentrer dans des cases pour des processus administratifs : règle de pré-financement [1], quota de diffusion, règles pour concourir aux Oscars/César.
​Mais ça, ce n'est plus vraiment du cinéma.

[1] - Le système d'agrément du CNC attribue des points en fonctions de la nationalité ou de la langue d'un certain nombre de critères repris ici : la société de production (10 pts), la langue de tournage (20 pts), les auteurs (10 pts), le casting (20 pts), les techniciens (14 pts), les ouvriers (6 pts), le matériel, le lieu de tournage et de post-production (20 pts). Il s'agit de cumuler suffisamment de points pour se rapprocher de 100.