Jennifer Lawrence avait découvert l'inégalité de traitement en décembre 2014 lorsque les mails de Sony rendus public montrèrent que pour American Hustle, Amy Adams et elle avaient obtenu moins que chacun des trois acteurs masculins. Récemment, elle revenait sur cette révélation dans Letters to Jenny :
I found out how much less I was being paid than the lucky people with dicks
Elle s'en voulait de sa mauvaise capacité à négocier, mais aussi de l'attitude des Studios vis-à-vis d'une femme qui négocie son salaire.
Le salaire des actrices n'est pas un sujet nouveau. En 1916, la presse évoquait déjà la rémunération de Mary Pickford qui gagnait 10.000$ par semaine. Elle montra en revanche un vrai talent de négociation et alla même jusqu'à co-créer United artists trois ans plus tard. Il serait facheux que les actrices aient à en venir là pour faire valoir leurs droits. Certaines actrices parviennent régulièrement à atteindre de très haut salaire, de Julia Roberts dans les années 90 à Angelina Jolie dans les années 2000. Et aujourd'hui, c'est justement Jennifer Lawrence qui doit toucher 20 M$ pour son rôle dans Passagers quand Chris Patt va gagner la moitié pour le même film.
Ces exemples ne doivent pas masquer la réalité de salaires moins élevés pour les femmes que pour les hommes On pourra toujours argumenter que les films d'action, en tête du box-office mondial, ont majoritairement des héros masculins. De même, la narration de la plupart des films est portée par un personnage masculin, justifiant là-encore une différence de salaire. Ou encore que c'est la loi de l'offre et la demande. Mais tout cela est justifié surtout par un système qui s'auto-entretient dans un univers dominé par des hommes : comment expliquer sinon, qu'alors que le public est majoritairement féminin, on continue à produire des blockbusters surtout gonflés à la testostérone. L'équipe des Avengers a généré des films autonomes pour Thor, Captain America et Iron Man, mais toujours rien pour la Veuve noire jouée par Scarlett Johansson qui a pourtant montré avec Lucy et ses 460 M$ de recettes-monde qu'elle pouvait porter un film de super-héroïne.
En Suède, Alison Bechdel a lancé son test des films sexistes. Pour échapper à cette appellation, il faut au moins deux personnages féminins dans l'intrigue, qui se parlent entre elles sur un autre sujet qu'un personnage masculin. Peu de films à gros budget passent ce test avec succès. Essayez !
Les producteurs soutiendront qu'il n'y a pas de machisme, mais seulement le résultat de l'offre et de la demande : si les acteurs sont mieux payés, c'est qu'ils attirent plus les spectateurs dans les salles. Et pourtant si Hollywood était économiquement rationnel, ce devrait être l'inverse.
J'ai en effet montré dans une étude [1] que les films dont la narration est portée par une femme bénéficient d'un supplément de satisfaction, et donc potentiellement d'un atout pour le succès commercial.
A partir de l'analyse du taux de satisfaction de 577 films dans une approche pondérée du résultat au box-office, j'avais étudié cet effet sur trois genres dont la perception sexuée parait assez différentes : les comédies romantiques, les films biographiques et les comédies.
1) Une comédie romantique est un sous-genre de la comédie dramatique dont le ressort narratif est fondé sur l’amour contrarié. Outre son thème de prédilection, la romance se distingue par le point de vue qui est adopté par le réalisateur. Si la plupart des films retiennent un regard masculin, la romance est souvent plus équilibrée : sur notre échantillon de 38 romances, 18 ont retenu un héros féminin pour porter la narration et 20 un héros masculin. Cela conforte une lecture identitaire du film selon le sexe du spectateur et le caractère identificatoire du film. Pour Laura Mulvey (1975), il y a deux sources principales de plaisir visuel au cinéma : « le premier, scopophilique, résulte du plaisir à regarder une autre personne comme objet de stimulation sexuelle. L’autre, fondé sur le narcissisme et la constitution de l’ego, provient de l’identification à ce qui est observé [2] ». Face aux films qui retiennent l’homme comme sujet et la femme comme objet, normalement la spectatrice « est réduite à constater sa propre réduction à l’état de support de l’activité masculine et doit en refuser le principe » (Esquenazi, 2003) [3].
Le second principal constat porte sur les préférences par sexe. Hommes et femmes préfèrent, relativement, les films qui adoptent le point de vue de leur sexe. La satisfaction moyenne des hommes est de 2,1 points supérieure lorsqu’il y a harmonie entre le sexe du spectateur et celui du héros principal (69,4 contre 67,3) ; elle est même de 4,7 points supérieurs pour la satisfaction des femmes (81,4 contre 76,7) lorsque cette harmonie est respectée.
On pourrait penser que les différences sont liées à la nature des sous-intrigues ou thèmes qui peuvent justifier les préférences sexuées davantage que le point de vue narratif. Un exemple plus récent, La stratégie de la poussette (Michel Clément, 2012), indique qu’il s’agit d’une fausse-piste. Cette comédie romantique prend clairement un point de vue narratif masculin, mais elle s’appuie sur l’idée d’un père qui utilise un bébé pour attendrir son ex-fiancée qui travaille dans une crèche et ainsi reconquérir son cœur. La petite enfance est une thématique plutôt féminine qui n’a pourtant pas donné un supplément de satisfaction au public féminin : le taux de satisfaction des hommes ressort à 74% contre 77% pour les femmes. Ainsi, l’écart n’est que de 3 points alors que sur notre échantillon il est de 7,3 points pour les comédies romantiques « masculines » confirmant que le poids du point de vue narratif a été plus important que la nature du thème de la petite enfance.
2) Le film biographique se détermine par l’importance de la caractérisation du personnage central autour duquel l’œuvre est construite. C’est souvent une figure emblématique et un modèle. La notion de projection-participation est donc prégnante dans l’appréhension du rapport du spectateur avec les films de ce genre. Selon que ce héros est un homme ou une femme, le processus de projection affective du spectateur est différent (Bobo, 1988).