Billet : j'ai adoré un film descendu par la critique

Qu'il est doux de voir un film et de l'aimer. On a envie de le partager avec d'autres et d'en discuter. On se demande si nos amis connaîtront le même plaisir. C'est pour ça que je regarde souvent ce que les autres en ont pensé. Pas pour changer d'avis, mais pour observer si mon appréciation est dans la norme. Et récemment, j'ai fait l'amer constat que grand public et critiques ne voient visiblement pas les mêmes films. Je sortais d'une projection de Mary de Marc Webb.

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Mary est pratiquement passé inaperçu en France. A peine 100.000 spectateurs français. C'est relativement 7 fois moins de spectateurs qu'aux Etats-Unis (retraité de la différence de taille des deux pays) où le film a largement amortit son petit budget de 7 M$.
Ce n'est pas moi qui ait proposé ce film dont je n'avais jamais entendu parlé. J'avais certes vu les affiches françaises mais sans faire le lien avec le film que j'allais voir : Gifted est devenu Mary dans la traduction en français. De fait je ne disposais d'aucune indication, ni sur le casting, ni même sur le thème. Et encore moins de retour de l'opinion du public et des critiques. J'étais donc totalement vierge d'avis parasites qui auraient pu m'influencer. 

Dès les premières images, j'ai apprécié l'écriture. En quelques phrases les personnages sont croqués. La fillette apparaît en répondant à son père qui lui fait un compliment : "j'ai l'air d'une princesse de Disney" avec le dégoût d'une adolescente alors qu'à l'écran elle n'a que 7 ans. On a le droit à la scène-bonbon où la surdouée fait la démonstration à son premier court de son don sans chercher à en rajouter. Le scénario est rondement mené : on se croirait dans un cours de structure narrative de John Truby. Le script doctor a raison : cela fonctionne bien quand c'est bien fait, c'est-à-dire que c'est "organique". Une grande scène hollywoodienne d'apprentissage de la vie lorsque la petite fille doit comprendre qu'elle est aimée et que son oncle l'amène dans une clinique obstétricienne. On est dans le feel good movie. La fin du film file vers le mélo, mais tout est construit pour ces scènes de séparation et d'apprentissage . Si on n'aime pas, il faut éviter 90% de la production du cinéma d'aujourd'hui.

Au final, les spectateurs apprécient. Malgré un succès contrasté, le film a plu des deux côtés de l'Atlantique (7,6 chez les internautes américains d'IMDb et 4,3 - sur 5 - chez les spectateurs d'Allociné). Cela ne m'étonnait guère puisque j'avais moi-même aimé ce film.

Mais la surprise fut de constaté l'écart avec les avis des critiques : 2,6 en moyenne - toujours sur 5 - pour 19 critiques. Ce qui est surprenant, ce n'est pas tant de découvrir que les avis sur un film peuvent diverger que de visualiser sur cet exemple l'écart d'évaluation entre critique et public. Nous ne sommes pas dans le genre de la comédie où le critique peine à trouver une appréciation fondée sur la caractère édifiant du film. Nous sommes ici dans le genre de la dramatique, relativement neutre sur ce critère d'appréciation.

Parmi les plus sévères, on peut lire :

• "Le film se saborde lui-même en finissant par faire accepter à Mary l’ordre établi. La mise en scène de Marc Webb est plate et sans surprise, en adéquation avec la trajectoire prévisible de son personnage principal, et au seul service du scénario" (Critikat)
• "Mignon mais trop fake, à l’image du look de Chris Evans en prolo sexy, les ongles sales mais les cheveux impeccablement shampouinés." (Première)
• "Dire que l’on a déjà vu tout cela mille fois serait un euphémisme. Le scénario file droit, les acteurs font leur job. On peut même s’amuser à deviner leurs répliques avant qu’ils ne les disent." (Le Nouvel observateur)
• "L’un de ces films qui usent à la louche des ficelles stéréotypées d’un cinéma tire-larmes." (Les Fiches du cinéma)
• "Éloge de la débrouille, des familles bricolées et des êtres exceptionnels sur fond de folk sirupeuse, le film peine à proposer autre chose qu’un petit exercice sundancien totalement académique et formellement daté." (Le Monde)

Et quel écart entre une critique (Studio ciné live​) qui relève "un drame familiale sincère et chaleureux" à l'image de l'opinion du public et les autres qui se plaignent de "la mièvrerie et des bons sentiments".

Le titre original - Gifted - positionne le film sur le don de la petite fille, interrogeant de fait la dimension positive du don alors que le titre français - Mary - revient justement au sujet du film que de souligner qu'il s'agit d'abord de l'histoire d'une fillette.

Le critique cherche dans les films matière à disserter sur les valeurs du films, la place du film dans la filmographie de l'auteur ou  encore l'originalité de forme. Le spectateur se contente souvent de mesurer la qualité des émotions ressenties. Là où le critique voit un cliché, le spectateur perçoit un effet classique et efficace. Différents critères, différentes appréciations.