Que signifie le fait d’être satisfait ou d’être déçu par un film que l’on vient de voir au cinéma ? Est-ce que l’on est satisfait ou déçu de ce que l’on a vu ou bien est-ce que l’on est satisfait ou déçu au regard de la décision que l’on a pris d’aller voir, seul ou à plusieurs, un film qui n’a pas répondu aux attentes qui étaient les nôtres au moment où l’on a pris la décision d’aller voir le film en question ? Que signifie, au demeurant, décider d’aller voir un film ou – ce n’est pas tout à fait la même chose - un film plutôt qu’un autre ?
Ce petit exemple permet en quelques lignes d’approcher toute la difficulté qui existe pour comprendre ce qui façonne, au fond, la carrière de tout film qui est pris, on le voit, au milieu du réseau des relations sociales qui se tissent avant, pendant, après et parfois bien après son visionnage. Comme tout objet d’art et de culture, sa vertu première est de fabriquer du symbolique, de « faire symboliser ». Et c’est ce « faire symboliser » qui est au fondement de ce que l’on subsume parfois sous le concept de « jugement ». Ce même petit exemple nous aide à comprendre aisément qu’il n’est pas de jugement esthétique qui dépend strictement de l’esthétique de l’objet – en l’occurrence du film - que l’on juge, mais de l’expérience spectatorielle qui en découle. De plus, on peut se demander, à juste titre, si cette expérience spectatorielle, est, comme d’autres expériences de notre vie, cumulative ? Est-ce qu’elle nous est utile pour vivre d’autres expériences spectatorielles ? Est-ce qu’elle nous permet de mieux apprécier l’interprétation que l’on aura des films que l’on verra ultérieurement ou des films que l’on a déjà vu et que l’on reverra ? Resterons-nous sur notre première impression ou bien notre jugement s’affinera-t-il, se révisera-t-il, se ravisera-t-il ?
Ce sont toutes ces questions passionnantes qui ressortent d’une sociologie de la réception en actes et qui jalonnent ici l’ouvrage de Laurent Darmon. L’auteur nous fait voyager grâce à une érudition sans faille dans l’univers de ce que perçoivent, ou du moins de ce que disent percevoir, les publics de cinéma lorsqu’ils sont confrontés aux œuvres cinématographiques. Revisitant les grandes théories de la satisfaction, Laurent Darmon va nous conduire vers sa thèse – une thèse inédite – qui consiste à concevoir le film comme un objet culturel qui n’a de cesse d’être remodelé par le spectateur entre son premier visionnage – le plaisir ou le déplaisir qui s’y attachent – et la représentation qu’il s’en fera par la suite, une représentation sujette à évoluer dans l’aventure mémorielle que le film va vivre dans la conscience de « son public ». Sans la rigueur qu’il a su insuffler à son travail, l’auteur nous aurait sans doute conduits vers des impasses multiples. Or, c’est tout le contraire qui se produit ici et la lecture de cet ouvrage, non seulement nous apporte des réponses concrètes, mais nous ouvre également à de nouvelles perspectives quant à la manière dont le cinéma transforme notre condition de public susceptible de générer des « standards diffus de perception » paradoxaux en ce qu’ils ont à la fois de personnalisants et de bien moins individualisants que tout spectateur singulier se plaît à le croire.
La satisfaction et la déception du spectateur au cinéma - Théories et pratiques (L'Harmattan) - 268 pages