Certains films se construisent dès l'origine pour faire bouger la société en place. Il est nettement plus rare qu'un même film parvienne à le faire une seconde fois, à 50 ans d'écart, et sur un plan idéologique opposé. Grand succès à l'international du cinéma des années 70, Le dernier tango à Paris a bien eu trois vies.
Le film narre la rencontre entre un récent veuf américain et une très jeune femme ; ils se retrouvent régulièrement dans un appartement parisien pour faire l'amour en ignorant tout l'un de l'autre.
Le sortie du film fait l’objet d’un débat houleux entre les « modernes » et les conservateurs. Les premiers défendent une révolution sexuelle en rupture avec la société d’avant mai 68 et la liberté d’une femme autonome dans sa sexualité tandis que les seconds crient contre l’obscénité de certaines séquences.
Comme dans d’autres pays (URSS, Espagne), le film est finalement interdit en Italie alors que déjà 7 millions de spectateurs en ont fait l’un des plus gros succès de l’année. En France, le film est interdit au moins de 18 ans et sera le film le plus vu de l’année à Paris, y attirant même une audience deux fois supérieure à celle du Parrain (!).
Le scandale est alors porté par la communauté catholique et les associations familiales, clairement politisées à droite.
Progressivement le film s’installe dans la cinéphilie classique. Les italiens peuvent le redécouvrir à partir de 1988, la télévision l’intègre dans ses programmes de seconde partie de soirée et la cinémathèque le programme dans le cadre de rétrospectives (encore en 2017). Malgré le souvenir des conséquences dramatiques du tournage d’une scène éprouvante sur la santé psychologique de sa jeune actrice, Maria Schneider, la diffusion du film n’émeut plus vraiment. La comédienne parle pourtant déjà de viol sous l’œil de la caméra. Le réalisateur évoque, lui, sa recherche de voir son actrice ne pas jouer, mais ressentir « la rage et l’humiliation ».
Le mouvement #Meetoo change les choses. Un biopic sur la vie de Maria Schneider sorti en 2024, « Maria », met sur le devant de la scène le traumatisme vécu par l’actrice. La différence d’âge de 29 ans (Maria Schneider avait juste 19 ans) et surtout les conditions de tournage d’une scène sexuellement violente improvisée sans l’accord de l’actrice prennent une autre dimension. Ce qui apparaissait comme un combat féministe est désormais perçu comme un symbole de plus d’une société patriarcale et d’un rappel à l’ordre légitime de la notion de consentement.
Et ce week-end la diffusion prévue à la cinémathèque française est annulée face au risque de trouble de l’ordre public. Le film se voit à nouveau banni des écrans. Le mouvement est cette fois porté par la dynamique woke aux valeurs politiquement à gauche.
L’œuvre de Bertolucci reste la même. Le film connaît deux scandales à un demi-siècle de distance. Entretemps, le combat politique a changé de sens.