Pourtant la durée d'un film ne s'impose pas d'elle-même et provient d'une volonté du réalisateur. Sergio Leone, comme d'autres (Manuel De Oliveira...), a montré qu'on pouvait dilater le temps lors de ses fameux duels. Chris Marker raconte à la fois une histoire d'amour et une histoire de voyage dans le temps avec quelques images fixes dans les 28 minutes de La Jetée. La durée est aussi un sujet de controverse entre une vision artistique d'un réalisateur qui veut raconter son histoire à sa façon et un producteur soucieux de ne pas effrayer les potentiels spectateurs et assurer au moins quatre séances par jour aux exploitants.
Pour Le Loup de Wall Street, Martin Scorcese s'était engagé vis-à-vis du studio à livrer un film de moins de trois heures : le film ne dure que 2h59 dans sa version cinéma (mais il existe une version allongée de 4h pour le marché de la vidéo).
- Bodyguard (1992 / 2011) passe de 129 à 130 minutes
- Carrie (1976 / 2013 ) passe de 98 à 100 minutes
- Vendredi 13 (1980 / 2009) passe de 95 à 97 minutes
- Les pirates du métro (1974 / 2009) passe de 104 à 106 minutes
- Les griffes de la nuit (1984 / 2010) passe de 91 à 95 minutes
- Footloose (1984 / 2011) passe de 107 à 113 minutes
- Evil dead (1981 / 2013) de 85 à 92 minutes
- Death game / Knock knock (1977 / 2015) passe de 91 à 99 minutes
- Total recall (1990 / 2009) passe de 113 à 118 minutes
- I spit on your grave (1978 / 2010)passe de 101 à 108 minutes
- Superman (1978 / 2006) passe de 144 à 154 minutes
- Les tortues ninja (1990 / 2014) passe de 93 à 101 minutes
- Arthur (1981 / 2011) passe de 97 à 110 minutes
- Karate kid (1984 / 2010) passe de 126 à 140 minutes
- Massacre à la tronçonneuse (1974 / 2003) passe de 83 à 98 minutes
- Robocop (1987 / 2013) passe de 102 à 117 minutes
- Batman (1989 / 2005) passe de 126 à 140 minutes
- Assaut (1976 / 2005 ) passe de 91 à 109 minutes
- Halloween (1978 / 2007 ) passe de 91 à 109 minutes
- Hairspray (1988 / 2007) passe de 92 à 117 minutes
- La dernière maison sur la gauche (1972 / 2009) passe de 84 à 110 minutes
- Man on fire (1987 / 2004) passe de 92 à 146 minutes
En fait, la durée des films produits a réellement augmenté jusqu´au milieu des années 60 et elle a même plutôt tendance à diminuer légèrement depuis le début des années 2000 d'après une étude de Randy Olson. Si on creuse cette évolution récente, on constate qu'elle traduit une dichotomie entre des films pré-produits pour la télévision et la vidéo d´une durée plus courte et des productions commercialement plus ambitieuses qui visent un box-office important avec une sortie massive en salles. Ces derniers étant quantitativement moins nombreux, la moyenne baisse naturellement.
En fait il y a eu dans les années 50 et 60 une course à la superproduction pour proposer toujours plus de spectacle. En même temps, que la durée s´allongeait, les producteurs cherchaient à augmenter le spectacle avec des images toujours plus grandes : le cinerama, le cinemascope, le superscope… Mais l'arrivée de la télévision et quelques échecs qui ont mis en évidence les limites de ce système ont poussé les Majors à revoir leur dispositif pour des films économiquement moins risqués. Une partie de l'audience populaire s'est détournée des salles et le cinéma est revenu à des films plus contemporains, plus en prise avec la société. Mais l'arrivée d'un nouvel Hollywood et le triomphe des blockbusters ont ramené les studios à investir dans le grand spectacle. Le "toujours plus" et l'hypercinéma [3].ont conduit logiquement au retour des grandes sagas où l'on cherche la surenchère. Le spectateur de cinéma doit trouver mieux, plus grand, plus fort qu'à la télévision. Le marché, devenu mondial, permet d'amortir des budgets toujours plus importants.
La durée des films suit donc l'état du cinéma. Lorsque ça va bien, les films ont tendance à s'allonger.
Le paradoxe est qu'alors que le cinéma fait de plus en plus long, le spectateur zappeur recherche des programmes plus courts : à la télévision, les séries de 90 minutes cèdent le pas aux programmes de 26 minutes, voire moins tandis que les programmes très courts (cinq minutes au plus) se multiplient pour internet.
Une façon pour le cinéma de cultiver sa différence... dans la durée.
[2] La faible durée des films des années 1910 est liée à l´histoire technique du cinéma. Les films étaient courts car le matériel ne permettait pas de projeter des films longs, puis justement dans les année 1910 cette difficulté a pu être contournée en même temps que la narration cinématographique progressait, notamment avec des cinéastes comme D.W. Griffith.
[3] Gilles Lipovetsky et Jean Serroy, L'Ecran global : culture-médias et cinéma à l'âge hypermoderne, Editions Le Seuil.