
Est-ce que le monde numérique déresponsabilise en l’absence de l’humain ou permet-il d’être plus autonome en n’étant plus dépendant d’une bureaucratie impénétrable ?
C’est la lecture rétrospective qu’on peut avoir de Brazil.
Brazil est un film-somme où l’on sent l’influence du passé et de visions d’anticipation (Metropolis, 1984, le meilleur des mondes).
Dans ce monde déshumanisé, l’humain est au contraire omniprésent, mais cela ne donne pas plus de sens :
- Le consommateur refuse de vieillir,
- L’employé perd le sens des finalités,
- Le management applique pleinement le principe de Peter,
- L’amitié s’effondre face aux normes sociales,
- Le débat idéologique se dilue dans le terrorisme,
- La vérité est balayée par les théories du complot.
Au sein de cet univers déresponsabilisant, Sam Lowry, un bureaucrate rêve encore, sur un air de samba brésilienne.
La vision de Terry Gilliam est ancrée dans un nihilisme à faire fuir le grand public. C’était en tout cas la vision du producteur américain (Universal) qui refuse de sortir le film en l’état. Considérant avoir le droit de revoir l’œuvre, le producteur n’hésite pas à en modifier la musique, couper des plans violents, enlever des péripéties qui donnaient de la profondeur. Surtout ce nouveau montage change profondément le sens de l’œuvre en enlevant une fin jugée trop pessimiste. Au global, ce montage d’Universal ne fait plus que 94 minutes contre 142 minutes pour la version sortie en Europe.
Terry Gilliam a le sentiment d’affronter la bureaucratie qu’il dénonce et veut conserver l’intégrité de son film. Le débat est public : le réalisateur achète une pleine page dans la presse tandis qu’Universal interdit de montrer le montage européen aux journalistes. Cela ressemble à une transposition de la bataille d’Hernani au cinéma : deux visions du droit d’auteur s’affrontent, l’une européenne (l’oeuvre appartient à son auteur qui défend sa vision), l’autre américaine (le film appartient à celui qui l’a produit pour le proposer commercialement au public).
Le combat autour de la notion de droit d’auteur est redevenu d’actualité avec l’application de droits voisins aux créations des intelligences artificielles génératives s’appuyant sans consentement sur des œuvres déjà existantes.
Au final, face à son élection par les critiques de Los Angeles comme meilleur film de 1985, Universal cède et sort le film aux USA dans une version de 132 minutes. Le film y est un semi-échec et est boudé par les Oscars au profit de Out of Africa (produit par Universal et plus long que Brazil !). Depuis le film est devenu culte et a trouvé sa place dans la cinéphilie de beaucoup de spectateurs.
Qui a gagné ?