La libération sexuelle a touché le cinéma avec une force inouïe au milieu des années 70, en en faisant un laboratoire un peu particulier de l'expression des préférences. Zoom sur l'année charnière 1974 marquée par un succès sans nul autre pareil.
Le succès des premiers films sexy fut tel que de nombreux producteurs furent tenter de reprendre la recette. On vit donc déferler une vague impressionnante de films pornographiques dans des salles spécialisées. Parallèlement, pour toucher le grand public encore réticent dans des pays majoritairement conservateurs (Nixon aux USA, Edward Heart en Angleterre et Pompidou en France), il fallait en 1973 une production moins hardcore.
Ainsi, sorti du Ghetto, l’érotisme pouvait prospérer. Les producteurs ont multiplié les films soit dédiés à une démarche érotique, soit dans des genres traditionnels mais en y incluant une liberté nouvelle de montrer le sexe. Les spectateurs de leur côté voyaient s'offrir à eux un cinéma nouveau et stimulant.
La part des films sexy est difficile à évaluer car il n'existait de distinction faite pour distinguer érotisme et obscénité. Une analyse faite en 1975 par le CNC à la demande des pouvoirs publics permit de mesurer la situation. Il s'agissait essentiellement de mesurer globalement son évolution car la méthode restait rudimentaire : se baser sur le caractère évocateur du titre des films. Ainsi, le nombre de film susceptibles d'être pornographique serait passé de 215 en 1968 à 672 en 1974. Mais le public avait aussi fortement augmenté en triplant de 8,4 à 24 millions de spectateurs intéressés. Le succès d'Emmanuelle à l'été 1974 contribua fortement à ce phénomène.
Mother !, le dernier film du réalisateur de Black Swan, Darren Aronofsky, n'a pas plu. C'est un euphémisme lorsqu'on regarde les avis des spectateurs à la sortie de la salle. C'est une contre-vérité quand on observe les notes données par les cinéphiles. Rarement film aura créé un tel écart de perception. Mother ! est entré dans l'histoire du cinéma moderne en devenant le 19ème film à recevoir la note F au rating de CinémaScore. Pas vraiment une situation enviable ! Cinemascore est un institut d'étude sur le cinéma qui interroge depuis 1978 environ les spectateurs américains à la sortie des salles (dans 5 des 25 plus grosses villes américaines). C'est donc l'avis du spectateur moyen qui s'est déplacé en salles et il y a donc moins d'un film par an qui a réussi à décrocher cette note infamante. Parmi les prédécesseurs, on trouve Disaster Movie (1,9 sur IMDb), Terreur.point.com (3,3), The wicker man (3,7), The devil inside (4,2), Docteur T. et les femmes (4,6), Les âmes perdues (4,8), Voyeur (4,9) ou encore Darkness (5,4). Le cas de Mother ! est différent. Sa note IMDb est bien supérieure puisqu'elle est à 6,8 une semaine après sa sortie (14.000 votants). Ce n'est finalement pas si loin de la note moyenne attribuée par les internautes cinéphiles à l'ensemble ds films notés sur IMDb, qui ressort à 6,9. Concernant Mother !, l'écart entre le rating Cinemascore (F, "l'un des pires films que j'ai vu") et celui d'IMDb (6,8, "un film moyen") est donc énorme. Dans un cas, c'est un spectateur lambda qui a vu le film à sa sortie, dans l'autre un spectateur engagé qui prend la peine de partager son avis sur internet. Pour analyser plus en détail, le cas spécifiques de Mother !, il est intéressant d'examiner la structure des notes qui constitue le rating (une moyenne pondérée) en le comparant à un autre film plus classique avec le même rating (6,8) et la même note médiane. Nous avons retenu Pirates des Caraïbes : la vengance de Salazar qui se différencie par son positionnement de blockbuster mais s'en rapproche par la proximité de la date de sortie à l'été 2017.
Pour les nouveaux sauvages, film argentin féroce et jubilatoire, les distributeurs sont allés chercher la caution de son producteur Pedro Almodovar. Pourtant à bien y regarder, les influences revendiquées sont plutôt du côté de Dino Risi et de Steven Spielberg, deux tendances du cinéma qui pourtant s'opposent souvent aux yeux des cinéphiles.
Il y a trois ans, à Cannes, les festivaliers ont pu voir un film à sketchs. Il fallait revenir à plus de trente ans en arrière pour en retrouver un en compétition. C'était Le sens de la vie des Monty Python qui avait même obtenu le prix spécial du jury. En 2014, c'était Les nouveaux sauvages de Damian Szifron, film argentin qui a fait son entrée dans le top250 des votes sur IMDb. Il bénéficie du patronage de Pedro Almodovar qui intervient comme producteur. C'est le réalisateur espagnol qui est d'ailleurs mis en avant sur les affiches françaises qui n'hésitent pas à reprendre en vignettes les personnages "au bord de la crise de nerf". En Argentine, pourtant, ce premier film s'est d'abord appuyé sur son casting local : Ricardo Darin (vu en France dans Entre ses yeux et les neuf reines), Leonardo Sbaraglia et Oscar Martinez. Parmi les nombreux prix récoltés, c'est essentiellement sa nominations à l'Oscar du meilleur film étranger qui est mis en avant, négligeant souvent ses huit récompenses aux premios platino, cérémonie célébrant les meilleurs films latinos. Car à travers le monde, pour vendre ce film, il a fallu faire oublier son origine argentine. Et ce n'est pas si difficile car la société argentine est en tout point comparable à celle des pays occidentaux avec une population immigrée - blanche à 97% - à forte culture européenne. Et les problématiques exposées dans le film ressemblent à celles des sociétés urbaines modernes.
Qu'il est difficile de voir le même film que ses enfants. Je viens d'en connaitre l'amère illustration avec Alien, le classique de Ridley Scott sorti il y a près de 40 ans. Une éternité assurément pour un jeune de 17 ans. Comment ce chef d'oeuvre du cinéma fantastique de 1979 peut-il avoir été ainsi une victime irrémédiable du temps ? Et si nous avions simplement tous construit une chronologie personnelle du cinéma qui repositionne les films dans le temps.
Alien compte parmi les grands films de la science-fiction. Déjà à sa sortie en 1979, il s'était fait remarquer par un public qui en avait fait l'un des gros succès de l'année : 6ème recette de l'année aux Etats-Unis (79 M$ de l'époque, soit environ 280 M$ d'aujourd'hui) et 9ème en France (2 809 000 entrées France hors reprise). Il a aussi marqué les critiques et les professionnels, notamment pour ses effets visuels (Oscar) et sa direction artistique qui ont longtemps influencé l'industrie hollywoodienne.
Depuis, le deuxième film de Ridley scott a acquis largement son statut de classique. Alien est classé 6ème des meilleurs thriller américain par l'American Film Institute (AFI), se retrouve référencé dans le recueil des 1001 films à voir avant de mourir tenue par Jay Schneider depuis 2001 et le guide des 300 films à voir avant de mourir proposé par Mad Movies l'année dernière.
Il était donc de mon devoir de père cinéphile de proposer de voir ce film "historique" à mon fils qui s'approche de sa majorité, le film n'étant qu'interdit aux moins de 12 ans en France. Il m'a fallu m'y prendre à plusieurs reprises : "Ça ne me tente pas". A ma grande surprise, car on est loin du film contemplatif ou à thématique "adulte" dont il se méfie lorsque je lui suggère un film du 20ème siècle. Et là, c'est même très ancien : près de 40 ans. La sortie actuelle de Alien : Covenant a néanmoins aiguisé sa curiosité si bien que c'est lui qui est revenu spontanément me le proposer récemment.
Les miroirs sont souvent là pour éclairer la personnalité des personnages, exacerbant les stéréotypes sexistes qui ont la vie dure au cinéma. Illustration en image à travers une compilation de films mettant leur héros devant ses contradictions.
Si le cinéma est plus fort que la vie, il tente souvent d'amplifier des tendances observées par les cinéastes. C'est pourquoi il existe une sociologie du cinéma qui permet d'éclairer les faits de société sousjacents. C'est ainsi que Siegfried Kracauer illustra les tourments de l'âme germanique en observant les films de l’expressionnisme allemand dans son livre De Calligari à Hitler.
Pour qui le cinéma est un art édifiant, il est donc intéressant d'examiner les stéréotypes portés par le cinéma d'aujourd'hui. Les films ont souvent joué avec le reflet dans les miroirs (on en dénombre 190 ici). Le miroir a depuis longtemps été objet de fascination, permettant à Alice d'aller au Pays des merveilles. C'est devant son miroir que le Travis de Taxi driver montre sa folie qui le démange ("You talkin’ to me?").
Les femmes pleurent et les hommes se mettent en colère lorsqu'ils sont confrontés à eux-mêmes devant une glace. Les unes sont vulnérables et émotives quand les autres sont colériques et puissants. Voilà ce que l'on peut tirer comme conclusion sexiste en regardant des films. C'est du moins la lecture évidente de cette compilation de Joost Broeren, un monteur néerlandais, qui en tire une amusante infographie.
Surprendre le spectateur en lui assurant de trouver ce qu'il vient chercher. Voila le Graal de tout producteur qui se lance dans un film pour lequel le public a des attentes fortes. Et comme le public est hétérogène, il n'y a rien d'évident pour résoudre cette apparente contradiction de la production cinématographique. Illustrations de solution avec trois exemples.
Lorsqu'on se lance dans la production d'une adaptation du Petit prince, il y a une évidence : ne pas décevoir les fans du roman de Saint-Saint-Exupéry d'autant que le livre comprend des aquarelles de l'auteur présentes dès l'édition originale de 1943 et qui ont forgé l'imaginaire des lecteurs. Avec plus de 45 millions de livres vendus dont un quart en France, c'est le plus gros succès de l'édition après la Bible ! Il en découle des devoirs de respect de l'oeuvre originale. Mais de nombreux spectateurs ne voient pas l'intérêt non plus d'aller voir une histoire qu'ils connaissent et qui justement a déjà été imagée dans leur imagination grâce à ces aquarelles. Il faut donc apporter du neuf sans trahir la matière d'origine désormais sacralisée.
C'est l'approche que le réalisateur du dessin animé sorti en 2015, Mark Osborne, a défendu pour raconter une histoire qui se dédouble : "Quand on m’a proposé ce projet la première fois, j’ai refusé car il me semblait impossible d’adapter un livre aussi iconique. Il y a autant d’interprétations que de lecteurs, ce qui complique la tâche. Et puis, j’ai réfléchi : il ne fallait pas faire une adaptation classique mais raconter justement le sentiment que l’on peut avoir à la lecture. C’est comme ça qu’est née l’histoire de la petite fille qui se dessine en parallèle de celle du Petit Prince : totalement nouvelle, elle m’offre l’espace de liberté qui me permet de garder intact le roman et de protéger les émotions qu’il véhicule. Tous les artisans qui ont travaillé sur ce film ont d’ailleurs suivi au pied de la lettre les mots de l’aviateur dans le livre : "Je ne veux pas que mon histoire soit prise à la légère."
La solution technique retenue est astucieuse. Composer le film avec une partie imaginaire en stop motion en respectant la texture du papier et un monde réel en numérique 3D conforme à la norme Pixar.
Avec 5 Baftas, 7 Golden Globes (record) et 14 nominations aux Oscars (record), La la land sera indéniablement le grand gagnant de la saison des prix des films 2016. Une razzia qui confirme la place de classique instantané qu'est en train de prendre le troisième film de Damien Chazelle.
La la land est un film qui plait indéniablement. Le film est monté jusqu'au 20ème rang du top250 d'IMDb. En France, l'observatoire de la satisfaction a mesuré un taux de 65% de haute satisfaction et une moyenne élevée de 8,7 sur 10. Les spectateurs d'Allociné lui attribuent une moyenne de 4,4 sur 5, le rendant éligible au top40 du public. Au Canada, c'était le prix du public du Festival de Toronto et en Italie le prix de la meilleure actrice au Festival de Venise. Le prix du meilleur film ne lui a pas échappé aux Baftas anglais et aux Goldens globes remis par les critiques étrangères installés aux Etats-Unis. La note des critiques professionnels ressort globalement à 93% au baromètre Rotten tomatoes pour 339 avis compilés. Et les Guildes des Réalisateurs (DGA) et des Acteurs Américains (SAGA) ont choisi cette année d'honorer respectivement Damien Chazelle et Emma Stone.
Encore une année à plus de 200 millions de spectateurs en France. On dépasse même le très bon score de 2015 avec 213 millions de spectateur, en hausse de 4%, deuxième meilleur score depuis cinquante ans après 2011, année du triomphe de Intouchables et ses 19 millions de spectateurs. Le cinéma se porte bien malgré le piratage, le lancement de nouvelles plateformes video et un public qu'on dit moins apte à se concentrer 2h dans une salle. Il faut croire que le cinéma satisfait des envies qu'on ne traite pas ailleurs.
Pourtant le box-office français de l'année n'a pas bénéficié de locomotive comme Star wars 7 (la majorité de son succès a bien été construit en 2015) ou Jurassic World. Au contraire, en 2016, aucun film n'a dépassé les 5 millions d'entrées sur l'année calendaire. Ce seuil sera atteint finalement par les deux leaders en continuation sur 2017 : Vaiana et Rogue One. On se réjouira de trouver un film comme The revenant à la 4ème place avec 3,8 millions d'entrées. Pour un auteur comme Alejandro Iñárritu, c'est une belle consécration. Même pour Leonardo Dicaprio, enfin oscarisé, c'est un très beau score puisqu'il n'avait fait mieux qu'avec James Cameron, Christopher Nolan et Quantin Tarantino. De même, Tarantino prouve qu'un auteur peut se constituer un public fidèle, même avec un western de près de 3 heures : Les 8 salopards a été vu par 1,8 million de spectateurs en France. A l'inverse, en 2017, les suites ont eu la vie belle et le chiffre-vedette a été "trois" : Captain America 3, Kung Fu Panda 3, Divergente 3, Ghostbusters 3, Bridget Jones 3, American nightmare 3, Ip man 3, Houseful 3, Les visiteurs 3, Camping 3 ... (nous ne comptabilisons pas Brice 3 ... qui est le 2 !).
Luc Besson vient de proposer la première bande-annonce de sa saga galactique Valerian. Des images attendues pour imaginer ce à quoi ressemblera cet ovni coûteux du cinéma français.
Lorsque Luc Besson a décidé de réaliser son rêve de gosse en adaptant Valerian et Laureline [1] héros de bande-dessinée depuis 1967, le milieu du cinéma l'a pris pour un fou. Non pas parce que cette histoire de voyageurs du temps avait de quoi faire tourner la tête. Mais parce qu'il était prêt à mettre beaucoup d'argent avec son budget annoncé à 197 M€. Beaucoup trop par rapport à ce qu'est capable de produire le cinéma français (le précédent record était de 78 M€ pour Asterix aux jeux olympiques), beaucoup trop par rapport à ce qu'un indépendant peut espérer rentabiliser au regard des tentatives similaires (on se souvient de l'échec des Arthur et les Minimoys aux Etats-Unis). Beaucoup trop enfin par rapport à la capacité financière d'Europacorp (155 M€ au début du tournage).
Et Luc Besson avait annoncé il y a quelques années revenir à une gestion moins risquée de sa société de production Europacorp. C'est pour ça qu'il s'était lancé dans l'exploitation en salles dont le chiffre d'affaires est plus régulier, qu'il avait développé l'activité avec les télévisions offrant une bonne visibilité et qu'il a multiplié les franchises pré-financées de ses précédents succès.
Mais Luc Besson a les pieds sur terre. Il a choisi une histoire et un concept qui a fait ses preuves, inspirant même en son temps George Lucas et sa Guerre des étoiles. Il s'est assuré de bien préfinancer son film à l'étranger, renforçant récemment son accès au marché chinois où il est déjà bien installé en faisant rentrer son partenaire Fondamental Films au capital d'Europacorp. Au niveau de la liquidité, la société avait aussi contracté une ligne de 450 M€ en 2014 pour financer ses productions en anglais.
Le succès de Lucy, devenu le plus gros succès d'un film français à l'étranger a changé la donne, rassurant Luc Besson sur sa capacité à faire monter l'adrénaline des spectateurs d'aujourd'hui, les mêmes justement qui font le succès des films Marvel. C'est dans la foulée qu'il a annoncé en mai 2015 le lancement de la production adaptant le tome 6 des aventures de Valerian et Laureline. Mike Nichols signa en 1967 l'un des rares films de l'époque qui a conservé son statut de film culte. La réplique "Mrs Robinson, you're trying to seduce me" est l'une de celles qui ont marqué plusieurs générations. Elle évoque les difficultés d'un jeune adulte à appréhender les règles de son nouveau statut. Plus gros succès de l'année 1968 aux Etats-Unis (35 M$ en six mois pour un total de 104 M$ cumulé aujourd'hui) et classé aux environs de la 22ème place au box-office français de la même année (1,7 million de spectateur à l'époque), Le lauréat constitue une date importante pour le cinéma. La façon d'utiliser la musique, le montage (le regard de Benjamin sur les seins de Mrs Robinson) et des séquences musicales qui anticipent la création du clip sont autant d'influences pour des générations de réalisateurs. Les Oscars consacreront d'ailleurs Mike Nichols d'une récompense du meilleur réalisateur pour ce film, unique statuette pour sept nominations. Le terme de film transgénérationnel lui sied particulièrement bien. D'abord parce que c'est l'histoire d'une relation entre un jeune étudiant et une femme d'âge mûr, mais aussi parce que chaque génération se retrouve dans le parcours de ce jeune homme maladroit qui doit trouver sa place dans une société construite par la génération d'avant. C'est la force des films de campus de permettre à chaque génération de spectateurs de se projeter à une époque clé de la constitution de son identité. Benjamin va suivre un parcours initiatique où il va réaliser "qu'il ne peut se résumer à ce qu'on dit de lui dans son livret universitaire et qu'il est passé à côté d'une partie essentielle de sa vie d'étudiant" [1]. Les films de campus ont pour caractéristique d'apprendre la transgression pour pousser les limites de son enfances et choisir où l'on posera les valises de sa vie d'adulte. Le film a d'ailleurs parfaitement traversé les générations, résistant au temps depuis un demi-siècle : les jeunes l'appréciant au moins autant que leurs aînés comme le montrent les votes sur IMDb (8,5 pour les moins de 18 ans et 8,1 pour les 18/29 ans contre 8 pour les plus de 45 ans). Bien peu de films antérieurs à 1970 peuvent en dire autant. Au moment où se déroule l'action, la société évolue rapidement. Il règne un sentiment général d'insatisfaction face à l'ordre établi. Nous sommes quelques mois avant la contestation étudiante de 12 universités américaines (contre le racisme et la guerre au Vietnam) et la Californie s'embrasera pendant l'été qui suit [2]. La période est marquée par la défense des droits civiques aux Etats-Unis, mais aussi par le féminisme qui permet aux femmes de gagner en autonomie. En Californie, le divorce sans faute ne sera adopté qu'en 1969. C'est dans ce contexte que Mrs Robinson choisit l'adultère et apparaît particulièrement provocante pour séduire le jeune Benjamin. Le film raconte aussi le destin d'une femme qui essaie d'échapper à son destin de bourgeoise des années 60 mais qui échoue, là où Benjamin Braddock acceptera d'aller jusqu'au bout (même si la toute fin du film laisse à penser qu'il sera rattrapé par les réalités de la vie [3] ).
Le cinéma ne fait pas que raconter des histoires. Il raconte aussi le monde, un monde vu par les yeux d'un auteur. Et il y a autant de visions de monde que de personnes pour le regarder. Entre deux façons d'appréhender le risque, les films portent en eux des valeurs à partager ou pas. Siegfried Kracauer a montré dans sa fameuse étude sur le cinéma allemand des années 30, comment l'esprit d'une époque se traduit dans son cinéma [1]. Rien d'étonnant, car comme l'avait explicité avant lui Edgar Morin dès les années 50, les films sont fabriqués par une communauté qui vit dans la société, sous ses influences et ses modes de vie. De fait, il peut être intéressant alors de regarder les films en se référant à ce qui caractérise une société. Il existe de nombreux axes de lecture proposés par l'ethnologie et l'analyse interculturelle : la religion, l'intergénérationnel, la linguistique/phonologie... L'une de ces approches qui nous a séduit est celle de Clair Michalon pour expliquer les différences culturelles. Elle a l'avantage d'une cohérence qui peut s'appliquer à la fois à un individu et à une collectivité. D'après son modèle, les individus voient le monde selon leur appréhension du risque. Soit une initiative est porteuse d'une précarité absolue qui va jusqu'à la mort en cas d'erreur, soit c'est une opportunité d'amélioration. Dans le premier cas, il s'agit d'échapper à la mort dans une société où les personnes âgées sont perçues comme des sages qui ont su éviter les erreurs : c'est le règne de la tradition des anciens où l'on cherche à perpétuer des stratégies de survie ; les femmes sont essentielles à la conservation de l'espèce et sont donc protégées, voir surprotégées (le voile etc). Dans le second cas, il y a une linéarité du temps pour chercher à faire toujours mieux, accroître son niveau de vie et l'individu se qualifie par ce qu'il fait. La distinction entre homme et femme n'est plus essentielle et les deux statuts convergent.
Il n'y a pas de jugement de valeur à avoir entre ces deux perceptions du monde qui sont, chacune, cohérentes. Au niveau sociétal, les communautés africaines traditionnelles sont sur le premier modèle quand l'occident évolue dans le second. Pour autant, ces modèles se retrouvent au sein de chacun de ces types de société, au niveau individuel. En effet, entre les deux pôles extrêmes, chaque individu se positionne à un moment donné. En effet, la position n'est pas absolue car on naît dans le monde de la précarité en nourrisson et on y revient en vieillissant. Entre les deux, on fait un bout de chemin vers la sécurité. Les sociétés les moins développées restent dans la précarité car la population vit dans un monde où le risque est partout (maladie, guerre, manque de nourriture, chômage...) tandis que les sociétés industrielles prônent la liberté et l'individualité dans un monde où le risque a été banni par le principe de précaution et des procédures. Showgirls ressort sur les écrans et bénéficie d'une sortie blu-ray en édition limitée. Inimaginable il y a 20 ans quand le film a été distribué pour la première fois et s'était fait étriller par la critique et le public. Une étrange évolution de la perception d'un film pas comme les autres. Il reste des adeptes du gout absolu qui permettrait de distinguer le beau du laid. En fait, il y a des normes qui permettent de juger des schémas. Or l'appréhension de ces schémas varie selon le contexte, les normes sociales et les références du spectateur. Showgirls de Paul Verhoeven illustre parfaitement cette réalité. Sortant de trois succès à Hollywood successif, le réalisateur hollandais était l'un des réalisateurs les plus populaires au début des années 90. Il décide de se lancer dans une épopée sur les croisades avec Arnold Schwarzenegger en vedette. Un budget pharaonique face aux difficultés financières de son producteur (Carolco) mettra fin à ce projet particulièrement attendu. Paul Verhoeven décide alors de rebondir en repartant d'un scénario qu'avait écrit pour lui Joe Eszterhas, son scénariste de Basic instinct. Insatisfait du premier résultat, il relance un round d'écriture juste avant la date de tournage. Le script raconte l'histoire d'une jolie jeune femme ambitieuse, mais sans le sou qui va tenter de réaliser de devenir une strip-teaseuse de luxe à Las Vegas. Une histoire qui rappelle Spetters du même réalisateur, tourné quinze plus tôt. Paul Verhoeven, qui n'a jamais été un réalisateur minimaliste, adopte le parti-pris d'amplifier tous les éléments de son film pour insister sur la satire : musique, couleurs, jeu des acteurs. S'écartant des conventions, le film n'est pas avare non plus de scènes sexy et violentes (un viol). Un montage édulcoré permit d'éviter un classement Rated aux Etats-Unis, au profit d'une simpleinterdiction aux moins de 17 ans (comparaison des versions). En France, la version intégrale fut interdite au moins de 12 ans.
Le Parrain est un grand film pour de nombreuses raisons, mais ce serait un autre film sans les célèbres compositions de Nino Rota. Pourtant ce sont bien des musiques recyclées que nous entendons tout au long du premier opus de la trilogie de Francis Ford Coppola.
La musique du Parrain est presque aussi célèbre que le film lui-même. C'est dire l'impact de sa bande originale. Elle est d'ailleurs jouée régulièrement en ciné-concert, apanage habituel des blockbusters.
Le film avait été pensé initialement avec un budget raisonnable, mais la Paramount choisit finalement de lancer une nouvelle politique commerciale qui s’appuierait désormais sur une superproduction annuelle servant de "locomotive" aux autres productions du studio. L'adaptation du roman à succès de Mario Puzo sera la première expérience en 1972 de cette stratégie gagnante puisque le film deviendra le premier à atteindre le seuil des 100 M$ de recettes aux Etats-Unis (4 millions d'entrées en France). Francis Coppola cherchait un compositeur italien à qui confier la musique de son film sur une communauté italo-américaine mafieuse [1]. Même si la livraison des compositions connut quelques difficultés, (retard et refus d'enregistrement de la part du compositeur), il trouva en Nino Rota l'artiste idoine qui allait proposer une musique accompagnant idéalement cette histoire de famille à la fois intime et baroque. Il est vrai que Nino Rota a des atouts : il est italien et a fait ses études musicales au Curtis institute à Philadelphie dans les années 30. C'est là qu'il a appris la composition.
0La musique qu'il composa pour Le Parrain fit le tour du monde. Il y eu des reprises un peu partout du Love theme. A la sortie du film, Andy Williams chante sur cet air "Speak softy love". Il devient "Parle plus bas" chanté par Dalida en France. Il existe aussi une version espagnole, italienne et même ukrainienne. Cette fameuse musique se dirigea vers un Oscar à l'image du film lui-même qui en gagna trois dont celui du meilleur film. N'avait-elle pas gagné le Golden globe de la meilleure musique ? Mais après avoir reçu une nomination à l'Oscar, la musique fut disqualifiée de la compétition. On reprocha à la bande originale de reprendre un thème d'un autre film : Fortunella, un film de Eduardo De Filippo datant de 1958 (et largement inspiré du cinéma de Fellini). Le compositeur de la musique en est... Nino Rota. Reprendre certaines de ses propres compositions, n'est pas nouveau : les musiciens classiques (JS Bach...) le faisaient déjà.
A l'écoute, l'ambiance sonore n'est pas du tout la même entre la mélancolie du Parrain et l'entrain de Fortunella, mais le thème du film de Coppola est indéniablement similaire (à partir de 0:50). Le Festival de Cannes est un événement mondial qui s'est ouvert à tous les cinéma. Et il y a plusieurs façons de prendre part à ce festival. Au sixième jour, on a commencé à faire un premier bilan à mi-parcours après avoir vu un petit film-ovni le matin. Lundi 16 mai 2016
Cette sixième journée commence par un coup de chapeau à Luc Besson. Sans son initiative concrétisée en 2012 au sein de la Cité du cinéma, il n'y aurait certainement pas eu de Willy 1er, premier film à découvrir à Cannes bien différent des productions d'Europacorp. En effet, Willy 1er est un drôle de film, original dans la forme et dans le fond. On le doit à un quatuor de réalisateurs de 23 ans qui sortent justement de l'école imaginée par le réalisateur de Lucy. S'il est courant de trouver aux manettes d'un film un duo, c'est plus rare d'avoir un trio (sauf quand le premier metteur en scène a été remercié comme pour Autant en emporte le vent). Là, ils sont bien quatre aux manettes et ils expliquent qu'ils ont bien écrit et réalisé tous ensemble en débattant des décisions et en se répartissant les séquences. On a bien à la fin une oeuvre cohérente. Les auteurs sont partis d'une phrase qu'ils ont entendu lors d'un documentaire sur l'illétrisme où Daniel vannet, leur futur acteur, était interviewé : " à Aulnoye, j’irai. Un appartement, j’en aurai un. Des copains, j’en aurai. Et j’vous emmerde ! ". Ils décident d'écrire pour lui. Ce sera d'abord deux court-métrages, puis ce long présenté très officiellement à Cannes via la programmation ACID. Cette phrase sera l'étrange ossature du scénario et les réalisateurs ne ménagent pas les personnages, sans faire preuve de complaisance pour eux. Le film est souvent drôle, parfois très décalé. Dur et drôle comme pouvait l'être le célèbre Affreux, sales et méchants... sauf que leur film n'est jamais méchant pour leur acteur/héros dont le handicap est assez peu souligné. Il est juste montré comme différent, comme finalement tous ceux qui s'écartent de la norme. On a donc hâte de voir d'autres films des 60 jeunes qui sortiront annuellement de l'Ecole de la cité comme Ludovic Boukherma, Zoran Boukherma, Marielle Gautier et Hugo P. Thomas. Une école qui fait la part belle à l'apprentissage sur le terrain. Visiblement, c'est une bonne méthode. Merci M. Besson ! Le Festival de Cannes est un événement mondial qui s'est ouvert à tous les cinémas. Et il y a plusieurs façons de prendre part à ce festival. Au quatrième jour, les déceptions de la veille vont être vite oubliées avec deux films très différents mais de qualité. Samedi 14 mai 2016 Ce matin, Direction le studio 13 pour mon premier coup de cœur après six films, émouvant et drôle. Avec Swagger, Olivier Babinet porte un vrai regard de cinéaste sur l'exercice délicat du documentaire qui devient ici docu-fiction. Il invite une photographie cinématographique, des cadres travaillés et un montage intelligent sans jamais perdre son propos. Derrière l'artifice, on sent toujours le réel. On est parfois gêné de rire au risque que cela passe pour de la condescendance déplacée, mais on garde toujours un regard amical pour les six héros. En parlant des jeunes d'Aulnay-Sous-Bois, le réalisateur parvient à éviter de parler de sa violence pour aborder la vision et les rêves d'une génération qui vit dans sa normalité. Quel plaisir aussi d'observer en direct dans la salle cannoise la réaction des jeunes "acteurs" lorsqu'ils se voient et s'entendent eux-mêmes ! D'autres de la Commission ont été gêné par le mélange documentaire et fiction, reprochant un traitement qui joue avec la réalité. Les bonnes surprises se poursuivent dans l'après-midi avec la projection de Grave à la Semaine de la critique. Le film a tout pour diviser car son sujet n'est pas consensuel, fleurtant par moment avec l'horreur. Pourtant, on ne tombe jamais dans le cinéma de genre. Croisement réussi entre Trouble every day et La crème de la crème mais qui a tout pour effrayer certains spectateurs tant le sujet de l'anthropophagie est abordé de front. Pendant la projection, 3% de la salle (15 spectateurs sur 440) sont sortis au moment de la première scène intense. Pas étonnant car, à Cannes, le public ne sait pas encore vraiment ce qu'il va voir faute de critiques et d'avis pour les informer. Faut-il retenir un tel film pour Cinécole ? On en débattra. En revanche, Poésie sans fin n'a pas totalement convaincu. La première heure du dernier film d'Alejandro Jodorowsky est très belle avec de magnifiques idées, puis l'histoire - biographique - tourne un peu en rond après et les idées poétiques semblent se répéter. Résultat, j'ai senti les 2h10 passer. Cela n'a pas empêché le réalisateur-poète franco-chilien d'avoir une vraie ovation sympathique pour l'ensemble de son oeuvre. Son idée du cinéma reste unique. Dans la Sélection officielle, c'est Tony Erdmann qui a créé le plus d'enthousiasme jusqu'à maintenant. La loute a plu aussi, mais a beaucoup divisé, les commissionnaires de Cinécole aussi. D'autres films ont plu à l'équipe aujourd'hui : Harmonium (Un certain regard), La danseuse (Un certain regard) et Folles de joie (Quinzaine des réalisateurs). Bilan, une bonne journée de festival.
Sorti il y a tout juste un mois dans la quasi-indifférence, Demolition, le dernier film du québécois Jean-Marc Vallée a divisé les critiques et les spectateurs. Il faut croire que ces deux publics ne sont pas venus y trouver la même chose. Comment en sommes-nous arrivés à cette dichotomie de point de vue face au même film, un film sur un thème fédérateur à défaut de générer du bonheur. Attention spoiler. Tout d'abord, je dois dire que j'ai aimé Démolition. Je ne savais rien du film, du moins de son histoire lorsque je suis entré dans la salle. J'avais juste vérifié que sa note sur IMDb "valait le coup" : 7,5, c'est plus que 7, seuil au dessus duquel je m'intéresse au film avec bienveillance (au-dessus de 8, j'y vais avec motivation les yeux fermés alors qu'en dessous de 6 je fuis habituellement en courant). Et je n'avais pu empêcher un bon ami de me prévenir avec insistance que les critiques reprochaient juste au film sa fin maladroite. En revanche, je n'avais aucune idée du thème de Demolition. Devant le cinéma, je n'avais que l'affiche pour me guider. Avec un titre pareil (en majuscule sans accent, on lit potentiellement le titre avec l'accent yankee) et une telle affiche (montrant un Jake Gyllenhaal avec un faux air d'Indiana Jones à lunettes noires), on pourrait facilement s'attendre à un petit thriller indépendant. D'autant que le simili papier craquelé de l'affiche tend à faire croire que "ça va déchirer". Le nom du film n'est pas sans rappeler non plus un vieux action movie de Sylvester Stallone des années 90. Bref beaucoup de fausses pistes...
Au moment où l'épisode 7 sort en blu-ray, la première trilogie de La guerre des étoiles est à nouveau annoncée dans les salles américaines pour août prochain. Les fans cinéphiles se réjouissent de retrouver "leur" film... ou pas. L'annonce anime la grande communauté des fans de l'univers de La guerre des étoiles. L'opportunité est offerte d'apprécier les trois films de 1977, 1980 et 1983 sur grand écran. En tout cas, pour les américains qui auront droit à une exploitation dans 20 grandes villes (San Francisco, Washington, Los Angeles, New-York, Miami, Dallas, Austin, Boston et Philadelphie sont déjà annoncées si vous préparez vos vacances). Ce n'est pas une reprise d'envergure et pour le moment ce n'est prévu que pour les Etats-Unis du 6 au 27 août. Déjà les fans discutent de la version qui sera projetée : montage original, édition spéciale (1997) ou celle revue depuis pour le DVD (2004) ? Car il existe de nombreuses versions. Bien sûr beaucoup connaissent l'histoire de ces "corrections" qui ont permis à George Lucas de revoir ses films pour les compléter comme il les rêvait (plus de monstres, rajout de Jabba the Hunt, révision des couleurs...). On sait moins que les films ont continué à être modifiés en 2011 au moment de la sortie du Blu-ray (rocher devant R2D2, couleur du sabre laser...). Ou que certains pays avaient déjà fait des ajustements dès la sortie (en Allemagne sur la scène de torture de l'épisode 2 pour l'autoriser aux plus de six ans) et que la version Laserdisc du début des années 90 a aussi subi quelques modifications (raccourcissements non assumées car il y a eu repressage avec rajout des 7 secondes retirées peu après). Dès 1981, il y avait eu un changement d’envergure : d'épisode initial, La guerre des étoiles devenait Un nouvel espoir, (a new hope en vo) proposant aux futures générations d'être vu en quatrième. C'est capital puisque le coup de théâtre familial de la fin de L'Empire contre-attaque perd de sa substance lorsque le spectateur voit d'abord les films de la deuxième trilogie.
Si l'on peut tous avoir son "quart d'heure de célébrité", comme prédit par Andy Wharol dès 1968, grâce à la désintermédiation médiatique, il reste au cinéma encore des occasions de faire sa star. Car l'essentiel n'est plus de pouvoir passer sur un écran et d'être vu, mais le contexte de cette visibilité. Voici une opportunité d'être sur un bel et grand écran. Et voila une occasion quasi-unique de se retrouver dans les cinémas du monde entier dans l'un des films les plus attendus pour juillet 2017: faire de la figuration dans le prochain film de Christopher Nolan, "objectivement" le meilleur réalisateur actuel. Il racontera l'histoire de l'opération Dynamo [1] qui vit l'armée allemande encercler les positions françaises et anglaises dans la ville de Dunkerque. Bénéficiant de l'hésitation des allemands à lancer l'assaut final, un plan d'évacuation fut mis en place pour permettre aux forces alliées de s'évacuer vers l'Angleterre sauvegardant les moyens de l'armée britannique de résister aux velléités d'invasion allemande. On peut penser que le film se focalisera sur les raisons de cette hésitation. L'époque où la cinémathèque ne diffusait que quelques obscurs chefs d'œuvre bulgares en complément d'une programmation dévolue à Yasujiro Ozu et Dziga Vertov est révolue. L'institution s'est ouverte à d'autres moyens de mise en valeur du patrimoine cinématographique depuis son rapprochement avec la BIFI (Bibliothèque du Film). Le 10 avril, sera projeté Le jouet de Francis Veber, une plaisante comédie qui fait aimer le cinéma justement. Le Jouet est un film de son époque. Il traduit bien une société "giscardienne" avec ses grands patrons confortées par la politique de Pompidou, les débuts de la crise économique et la guerre des classes exacerbée par les manifestations de la fin des années 60. C'est aussi les débuts d'un nouveau genre comique auquel le Francis Veber scénariste a participé avec son interprète Pierre Richard et sa candeur presque poétique.
Le film n'est pas manichéen approchant la question déjà débattue dans des contextes différents de savoir qui est le monstre entre celui qui donne les ordres et celui qui les accepte. Le débat dépasse l'opposition entre le patron et l'ouvrier pour glisser aux relations entre le chef et le sous-chef aux ordres (via le personnage du rédacteur en chef), le chef de famille et son épouse docile ou encore le père et le fils. Chacun accepte un rôle et s'en accommode plus ou moins. C'est aussi un film sur l'humiliation. Ce scénario malin vaudra à Francis Veber une nomination aux César 1977 et le droit à un remake américain six ans plus tard, The toy, avec Richard Pryor dans le rôle de Pignon [1]. Le Festival de Sundance vient de primer un film anti-esclavagiste intitulé Naissance d'une nation, nommé ainsi en référence au film de D.W. Griffith. Sorti il y a tout juste 101 ans sur les écrans américains, Naissance d'une nation (1915) s'était imposé comme le plus gros succès commercial de son temps. Il fut rapidement qualifié de raciste et généra dès sa sortie une forte opposition mais il est toujours cité comme un film fondateur du cinéma et son succès de l'époque est révélateur de l'enthousiasme qu'il suscita auprès du public. Comment une œuvre peut s’installer avec une telle ambivalence culturelle ? Naissance d'une Nation raconte l'histoire de deux familles l'une nordiste et l'autre sudiste dont le film prend le point de vue au moment de la guerre civile (dit de Sécession). L'intrigue - qu'on pourra lire ici détaillée - évoque les méfaits de la guerre sur les deux familles dont celle du sud victime de noir-américains pendant et après le conflit. Le film s'achève sur la constitution de deux couples, entre unionistes et confédérés, après une victoire du Ku Kux Klan nouvellement formé. On le sait peu, mais lors de la première en février 1915, le film en deux parties de Griffith s'appelait The Clansman du nom du livre du pasteur baptiste Thomas Dixon écrit dix ans plus tôt. Ce n'est que trois mois plus tard qu'il prit le nom de Naissance d'une nation. Ce changement n'est pas innocent dans le positionnement du film vis-à-vis du public. Il impose comme directive de considérer le film non pas comme une histoire singulière, un cas particulier, mais au contraire, comme une illustration de l'Histoire. |
Docteur en Sciences de l'information et de la communication, Laurent Darmon est devenu par cinéphilie un spécialiste de la réception cinématographique et de la sociologie du cinéma.
Il est l'auteur d'une thèse sur "l'itinéraire de l'évaluation d'un film par le spectateur au cinéma", anime des conférences et a été le Président de la Commission Cinécole 2016. Parallèlement, il est en charge du digital dans une grande banque française.
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